À l’Opéra de Paris, le talent et le travail ne se déploient pas que sur le gigantesque plateau de la grande salle. À l’instar des petits rats, s’activent dans les coulisses de l’atelier de couture d’autres savoir-faire qui contribuent de façon plus anonyme à la magnificence des spectacles et à la renommée de cette institution.

Pas moins d’une trentaine de petites mains s’affairent chaque jour à créer les costumes qui accompagneront les danseurs dans leur interprétation. Paillettes, frou-frou, tulle, tarlatane et mousseline se retrouvent sur chaque coin de table accompagnés parfois de matériaux plus surprenants pour des costumes plus improbables tels cet assemblage de boules colorées en papier ou cette tenue de cosmonaute.
C’est à l’arrière de l’Opéra qu’il faut chercher l’atelier de couture. Xavier Ronze, le directeur de l’atelier, nous y accueille. Ambiance feutrée, odeur de cire et parquet craquant…

L’atelier de couture compte cinq entités qui créent les costumes de danse (un autre atelier existe cependant à l’Opéra Bastille pour les costumes des spectacles lyriques) : le flou (costumes femme), le tailleur (costumes homme), la mode (confection des coiffes et chapeaux), la maille (pour le stretch – un atelier rare, peu de structures ayant un atelier dédié à cette matière, pourtant essentielle en danse) et enfin, la décoration (pour les accessoires de costumes comme les bijoux ou les masques).

L’atelier est en charge de tous les spectacles de danse de l’Opéra Garnier, aussi bien les classiques que les créations contemporaines.
Au moment de notre visite, les couturiers travaillaient dans le même temps sur des reprises de « Don Quichotte », et sur les costumes de « Play », une création. « Cette diversité est d’une richesse inouïe. La danse est un monde de création, c’est du spectacle vivant… et c’est drôlement vivant ! sourit Xavier Ronze. C’est ce foisonnement permanent qui est passionnant et rend notre métier unique. » Il donne aussi l’opportunité de collaborer avec des artistes de renom, grands couturiers ou costumiers de théâtre notamment. « Le répertoire est très varié de par les chorégraphes et les chorégraphies, mais aussi de par les univers que cela nous permet de côtoyer. Nous avons une chance inouïe. On travaille aussi bien avec de grands couturiers comme Christian Lacroix qu’avec de grands costumiers de théâtre comme Luisa Spinatelli ou Franca Squarciapino » poursuit Xavier Ronze.

Si le décorateur imagine les costumes, leur réalisation est un travail d’équipe, une véritable collaboration avec l’atelier de couture dont la force de proposition est très sollicitée. « On travaille vraiment en collaboration. Si la qualité de ce qui est réalisé ici est assez incroyable, je tiens aussi à souligner la grande créativité et l’inventivité des responsables de chaque atelier. On travaille en étroite collaboration avec le décorateur, en faisant sans cesse des propositions, mais aussi en étant très réactifs. C’est l’un des grands avantages de tout avoir en interne. Quand le costumier évoque son idée, on peut immédiatement réagir en faisant des essais ou en montrant quelque chose dans le stock. On amène des solutions très rapidement » explique Xavier Ronze. Il appartiendra aussi à l’atelier de couture d’assurer l’harmonie de l’ensemble. Un sentiment d’unité, d’un « Tout » cohérent alors que les corps sont, bien sûr, tous dissemblables. Une mission presque « politique » tant elle parfait la vision artistique qui est donnée à voir au spectateur.

Ce lieu est un concentré de savoir-faire rares et délicats déployés avec passion par les artisans-missionnaires d’une équipe qui voue à son travail l’attention d’un quasi-sacerdoce. Il est vrai que les connaissances ultra-spécifiques qu’exigent les besoins du spectacle ne souffrent pas l’approximation : savoir réaliser un chapeau est une chose, mais modiste de spectacle est un métier en soi (savoir développer des coiffes légères, stables, avec des proportions spécifiques, etc.). De la même façon, l’atelier décoration, nécessite de savoir à peu près tout faire avec à peu près tout, sans pouvoir l’apprendre, nulle part. Ou comment faire de l’improvisation maîtrisée une discipline à part entière. Au fil du temps, c’est une somme considérable de connaissances qui s’est accumulée entre ces murs. Afin que l’excellence perdure, une attention particulière est portée à la question de la transmission de ces savoirs uniques, avec notamment la création de l’Académie de l’Opéra, permettant d’accueillir quelques jeunes en formation continue pour ces métiers pointus. Des places très rares et extrêmement prisées. 

Malgré la densité des journées, le rythme plus que soutenu (entre 2500 et 3500 costumes, retouches et créations, passent chaque année dans les ateliers), les délais serrés, les changements fréquents, les retouches quotidiennes, les temps de développement de nouveaux projets souvent très courts (de quelques semaines à quelques jours entre la première idée et le costume finalisé), il règne une ambiance très sereine. Le turn-over est faible, et la plupart des collaborateurs font une grande partie de leur carrière ici, à l’image de Xavier Ronze qui, s’il dirige l’atelier de couture depuis 2009, travaille à l‘Opéra depuis 25 ans. Il faut dire que la puissance de la force artistique en mouvement dans un contexte d’un tel raffinement est difficile à quitter. Et même les simples visiteurs que nous sommes, resteraient bien cachés ici encore quelques heures encore pour voir opérer sous leurs yeux le tour de magie de la création.

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Photos : Brodbeck & de Barbuat / OnP