La fée qui s’est penchée sur son berceau était furieusement obstinée… Née dans une famille bourgeoise de l’Isère, la petite Isabelle Collin Dufresne a vécu une adolescence pour le moins tourmentée, fréquentant les maisons de correction et même un prêtre exorciste, engagé par ses parents pour la « délivrer du mal. » La fée s’était trompée de baguette… Elle lui accorde une deuxième chance en « l’expédiant » aux États-Unis où une destinée romanesque l’attend. Elle deviendra l’égérie de Salvador Dalí et d’Andy Warhol. Isabelle Collin Dufresne se métamorphose en Ultra Violet, une plasticienne renommée. Ella va croquer la Big Apple à pleines dents. Et bien plus qu’un simple nom cosmique, avec son faux air d’Ava Gardner, sa chevelure sauvage et ondulante teintée de jus de baies, ses tenues ultraviolettes, elle était l’incarnation du psychédélisme.
Une sacrée revanche pour l’adolescente blessée, fuyant une jeunesse éprouvée et surtout un père distant et froid. « La seule fois où il m’a vraiment embrassée affectueusement, c’était le jour de sa mobilisation en 1940 », se lamentait-elle. Ce manque d’amour paternel poussera la fillette à faire les quatre cents coups et choquer sa famille aisée, « bourgeoise et catholique ». Son oncle, René Capitant, fut ministre de l’Éducation national et ami du général de Gaulle. Ses étés, elle les passe dans le château familial de style classique aux murs d’un blanc crayeux dont les terrasses donnent sur la Méditerranée. Mais, elle souffre trop de la passivité chronique de son père. La petite fille frustrée a besoin qu’on la regarde, qu’on l’écoute, qu’on l’aime. C’est dans la provocation qu’elle trouvera l’instrument de sa vie. On ne jurera que par elle, s’est-elle secrètement promis. Au couvent, pour narguer les sœurs, elle allume un cigare avec un billet de banque. Un autre soir la petite Isabelle fait le mur, outrageusement maquillée, et rôde dans les bars de la ville. Elle n’a que 13 ans. Ses parents ont du mal à contenir son esprit rebelle. La maison de correction et ses grèves de la faim ne changeront rien.
En 1953, à l’âge de 18 ans, elle est « expédiée » à New York chez sa sœur aînée, Catherine. Le conseiller culturel de l’ambassade de France, l’engage pour recevoir les visiteurs. Isabelle fréquente les galeries et les musées, ne manque pas un vernissage. L’art, sa passion. Ses nombreuses relations l’introduisent auprès du gotha new-yorkais. Isabelle dîne avec Aristote Onassis et Maria Callas, croise la route du danseur russe Rudolf Noureev, de l’excentrique milliardaire Howard Hughes, du sulfureux Truman Capote… Certains d’entre eux partageront ses nuits. New York aime les personnages extrêmes et va bientôt tutoyer la jeune française. En 1960, Mafalda Davis, autrefois dame d’honneur de la reine d’Égypte, lui demande de passer au St. Régis Hôtel pour livrer une cuillère en émail de la Russie du XVIIIe siècle à Salvador Dali.

Dès le premier regard, c’est la fusion. Deux provocateurs innés ne pouvaient s’ignorer. Le maître du surréalisme ne tarde pas à la déshabiller pour l’immortaliser. Isabelle ôte son tailleur Chanel dans les tons bleu, rose et or. Dalí la taquine et lui fait manger des fourmis au chocolat. Un lien abracadabresque et théâtral se dessine. Elle se souvient du délicieux picotement de ses moustaches huilées. Dalí, c’est son modèle, son ami, son amant.
En 1963, le peintre catalan lui présente Andy Warhol, un jeune artiste qui vit cloîtré dans la Factory, une usine reconvertie en atelier tout argenté. La faune qui fréquente les lieux vit sans tabou. Entre l’albinos gay dont la chevelure synthétique ne tenait au crâne que par un bouton-pression et la jeune pécheresse élevée dans un couvent, il n’y aura rien d’autre qu’une attirance, et une explosion d’idées plus farfelues les unes que les autres. Isabelle doit se trouver un nom de scène : Warhol lui propose Poly Ester, elle penche pour Ultra Violet après avoir lu un article du Times consacré à la lumière de l’espace. Afin d’être la superstar de la Factory, elle adopte un look résolument provocant. Des robes déchirées, du jus de betteraves sur les lèvres pour être en osmose complète avec son nouveau nom : « Ultra Violet je suis, et c’est de la lumière qui coule dans mes veines. » Celle qui fut l’extravagante égérie d’Andy Warhol, le pape du Pop’Art, l’artiste provocateur, a eu bien plus qu’un quart d’heure de renommée. Elle a vécu une vingtaine d’années aux côtés de celui dont l’étoile a commencé à briller le jour où une boîte de conserve de soupe devint une œuvre d’art à la gloire du consumérisme. À la Factory, Ultra Violet fréquente Jane Fonda, Mick Jagger, Jim Morrison, John Lennon…

Les nuits blanches s’égrenaient au rythme rauque du Velvet Underground, le groupe décoiffant de Lou Reed. Elle a fait ses débuts à l’écran notamment dans le deuxième film de Warhol, « I, a Man » (1967), qui mettait également en vedette Nico et Valerie Solanas (qui plus tard a tiré des coups de feu et gravement blessé Warhol). Elle est également apparue dans le mythique « Midnight Cowboy » (1969) avec Dustin Hoffman et Jon Voight.
Elle cherchait de l’amour, elle va trouver la décadence d’une époque. Elle donnait des conférences de presse nue dans une baignoire remplie de lait. Durant ces années de délires nocturness, combien d’accros de la Factory se sont brûlés les ailes, terrassés par une overdose. Ultra Violet finira par les lâcher. En 1973, elle a eu une expérience de mort imminente, pour laquelle elle a blâmé ses habitudes d’excès dans la décennie précédente. Elle condamne la consommation de drogue endémique et l’égoïsme incontrôlé de la Factory et devient membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours.
À la mort de Warhol, en 1987, elle n’est plus que l’ombre de son passé. Elle entame une carrière artistique comme libérée du poids de son mentor. Elle dévore les textes philosophiques sacrés, pour soigner une déprime invalidante et trouver le chemin de la rédemption. Une partie de son travail avant son décès traite des attentats du 11 septembre, en utilisant les chiffres romains IX et XI comme palindrome graphique. Mickey Mouse, qu’elle représentait portant des ailes d’ange, était aussi une figure récurrente dans son travail.
Ultra Violet s’éteint en 2014 à Manhattan. Pour rejoindre le pays des fées psychédéliques.
