Pour la revue littéraire et artistique Octopus l’auteure et documentariste, Blandine Giambiasi, qui aime explorer les liens entre les hommes et leur terre, a livré un très beau récit sur l’histoire et l’âme de la cuvée Comtes de Champagne.
Il y a des vins qui ne sauraient exister sans la magie de plusieurs fées. De bonnes âmes, des gestes précis, des choix multiples, des paysages uniques, des plantes qui font le lien entre l’air et le sol et des cavités souterraines habitées. La cuvée des Comtes de Champagne est de ces vins-là. En 1952, François Taittinger a la vision d’un champagne qui embrasserait toutes les nuances de la côte des Blancs, les meilleures expressions de ces lieux, les cinq Grands Crus réunis en une seule signature. Une bouteille exceptionnelle, qui raconterait en prime l’air du temps, millésimée. En hommage à celui qui offre une contribution décisive à l’actuel champagne, Thibaut IV, rapportant l’ancêtre du chardonnay de ses croisades en Orient au XIIIème siècle, cette cuvée s’appellera Comtes de Champagne. Elle portera son sceau royal. Et son nom même évoquera plus largement l’idée de la grande famille qui la compose.
Il se tisse ainsi l’histoire d’un vin sublime, libre de voir le jour ou non selon l’inspiration du millésime. À chaque étape, tout aura été fait pour qu’il soit conforme à cette vision. Mais jusqu’au bout ses garants resteront libres d’en produire une nouvelle cuvée – ou non. Une liberté et un engagement qui sont la marque, la culture des Taittinger. À la tête de la maison de Champagne, ils sont comme les comtes, des conquérants. Ils prennent très tôt et avec passion le contre-pied du chardonnay. Ils rendent honneur aux terroirs en rendant honneur aux vignerons. Car c’est par ici que l’histoire prend racine, dans les parcelles de la grande côte des Blancs.
Par un travail minutieux dont toute l’énergie vise à mener la vigne dans sa recherche d’équilibre, les premières attentions sont celles des vignerons, soucieux que la plante s’exprime au mieux. Oui, ils sont conscients d’évoluer sur une terre bénie des dieux ; ils en connaissent toute la beauté et les délicatesses. Et oui, lorsqu’ils travaillent sur les parcelles des comtes de Champagne ils savent la finesse et la minéralité qu’ils transmettront à l’équipe en charge des vinifications sous la forme d’une baie de chardonnay cueillie à point. L’histoire continue. Ils se sont passé le relais, mais ne manqueront pas une occasion d’échanger sur le goût de la provenance, la magie de l’assemblage, l’esprit des comtes, ce travail d’écriture que chacun signera. Ainsi, au chai, lève-t-on le voile sur un premier secret : les vinifications ont l’ambition de ne rien apporter à ce jus qui a été livré. Cette précieuse expression des lieux et du temps, il faudra être suffisamment humble et précis pour ne faire que l’accompagner dans sa transformation en vin.
Surtout rien d’autre. On convoquera pour cela tous les sens. Sans oublier l’intuition. Pour cette cuvée, l’autre secret serait peut-être qu’il n’existe pas de recette. C’est l’interprétation de tous et de chacun qui fait qu’au bout du compte il y a des Comtes. Une histoire racontée et une émotion vécue dans chaque décision. L’importance et l’intention portées dans chaque geste. Tous les gestes. Jusqu’à ces mouvements de poignet qui donnent quelques tours à la bouteille plantée dans son pupitre, plongée dans l’atmosphère singulière des crayères de l’abbaye Saint-Nicaise. Le règne du calcaire, le dessus dessous. Les pas de celui qui veille sur ce trésor enfoui, dans les pas d’autres gardiens avant lui ou dans le souvenir de ceux qui s’y sont réfugiés, laissant sur les parois leurs signatures gravées. Les kilomètres parcourus par les cavistes dans ce dédale pour protéger les dix ans de repos que chaque millésime impose avant d’être habillé, remonté et dévoilé à la surface du monde.
Et là-haut, dans l’instant de la dégustation, la promesse est tenue. Le dessous dessus. La fraîcheur est éclatante. La dentelle émerveille. L’énergie se libère avec tenue, retenue. Son raffinement se partage et s’accorde tellement bien à toute amitié, à tout met délicat, à toute cuisine sans artifice, qu’il se suffit aussi bien à lui-même.