Lorsque nous avons rencontré Vera Chamarande, un univers multidimensionnel s’est ouvert à nous : celui du café. « On ne peut pas imaginer tout ce qui se passe derrière un petit café noir que l’on boit le matin ou dans un bar. » Boisson la plus consommée dans le monde après l’eau, 3ème matière la plus échangée sur le marché financier, il est aisé d’imaginer les dérives que cela induit. Vera a voulu revenir à la source de ce produit pour en exploiter toute la beauté. Les cafés qu’elle cultive avec ses deux producteurs colombiens ont dernièrement fait partie de la sélection de Connor Bramley (meilleur torréfacteur de France 2019) pour le championnat du monde du meilleur torréfacteur qui a eu lieu à Taïwan en novembre 2019.
La bonne rencontre au bon moment, c’est ainsi que Vera a osé faire le grand saut qui lui a permis de vivre sa passion pour le café d’encore plus près. Alors qu’en 2015 elle ouvre à Reims OMA, un coffee shop comme on en voyait fleurir dans les capitales européennes – où il fait bon siroter un slow coffee avec en fond sonore, toujours, de l’indie ou du jazz –, elle fait la rencontre de Juan, venu de Colombie. Jeune étudiant à l’université de Reims, il poussa la porte d’OMA pour s’y faire barista et resta deux ans auprès de Vera. Le coffee shop allait bon train, jusqu’à ce que Juan, devenu témoin du potentiel de Vera, la pousse en dehors de sa zone de confort. La série d’événements qui suivit ne laissa d’autres choix à Vera que de fermer les portes d’OMA, pour inventer autre chose… « Avec Juan on a formé le binôme parfait chez OMA car il avait la connaissance de la caféologie, raconte Vera. Moi de mon côté, à travers les livres, ça faisait des années que je m’intéressais à l’histoire du café, aux différentes variétés, aux méthodes de culture. Juan m’a fait comprendre que je devais exploiter mes connaissances. Son père avait des relations directes avec les producteurs de café en Colombie, il pouvait m’ouvrir certaines portes, alors nous avons organisé un voyage là-bas. »
L’aventure
2018, voilà donc Vera lancée à la découverte des fincas colombiennes, de petites fermes de café appartenant à des producteurs indépendants. « Avec Juan, nous avons contacté par téléphone environ 300 producteurs en Colombie. Je cherchais à savoir quelles variétés ils cultivaient, selon quelles méthodes de culture, quels étaient leurs process… Ça nous a permis de cibler 45 exploitations, qu’on a toutes visitées. Au final, nous en avons sélectionné deux. » Avec ces deux producteurs, Vera a alors mis en place un cahier des charges ne correspondant à aucun label, mais plutôt à ses propres envies. « Au-delà de mes envies, mon cahier des charges tient aussi compte de l’environnement dans lequel se trouve la plantation. Par exemple, on va considérer la nature des sols, l’altitude, les vents et l’humidité pour faire en sorte de développer une belle sucrosité du café. Je fais aussi beaucoup de recherches sur les méthodes de culture ancestrales, propres à chaque pays car il y a des éléments intéressants à en tirer. Nous travaillons par ailleurs selon les cycles lunaires. En bref, nous testons continuellement de nouvelles choses… »
Le cahier des charges vaut aussi pour l’après-récolte, au moment de définir le procédé selon lequel vont être triées, lavées ou séchées, les cerises de café. « Le process que l’on va choisir va donner un café qui sera plutôt doux ou fort. » Celui que Vera apprécie particulièrement, le process Honey. Très délicat il consiste à laisser le mucilage (la fine peau sucrée enveloppant la fève de café) sécher sur le grain pour lui permettre d’augmenter naturellement sa sucrosité.
De la rigueur pour développer de la douceur, c’est la recette qu’adopte Vera à chaque étape de ce long processus qui s’étend de la plantation de la graine de caféier à la tasse parfaite du client. Il en va donc ainsi également pour la torréfaction qui se fait sur un temps réduit pour rester « claire » et permettre au café de déployer toute sa palette aromatique. « À l’inverse, les industriels procèdent souvent à une torréfaction très noire car elle permet de faire gonfler la fève et donc de gagner en volume. Ils vont même parfois jusqu’au deuxième crack, ce qui brûle littéralement le café. »
Vera propose à l’heure actuelle uniquement des cafés colombiens, selon des variétés et des process différents. Elle s’apprête cependant à se rendre dans différents pays pour sourcer de nouvelles parcelles : « Le milieu du café est un petit monde. Tout le monde, même sans s’être jamais rencontré, se connaît. Aujourd’hui ce sont donc les producteurs de café eux-mêmes qui me contactent afin que je les accompagne dans l’élaboration d’un cahier des charges prenant en compte les paramètres indispensables à l’excellence : l’apport en nutriments, les essences d’arbres que l’on plante à proximité des parcelles de caféiers (qui vont à la fois apporter des arômes au café et permettre de lutter contre les insectes nuisibles), l’introduction d’insectes qui vont jouer un rôle de barrière contre les ravageurs, l’utilisation des “déchets” du cafés dans une logique d’économie circulaire… Vendre l’histoire qu’il y a derrière le produit, c’est ça qui m’intéresse. Je pourrais acheter des variétés très rares et les revendre plus cher, mais ce qui me passionne c’est tout le travail que je fais en amont avec les producteurs pour en arriver à cette qualité là et être en mesure de proposer une traçabilité totale de la graine à la tasse. »
Cereza de café
Vera ne produit pas seulement des cafés d’exception et grands crus. En début d’année 2019, elle a monté Cereza de Café, une start-up responsable et innovante visant à valoriser les « sous-produits » du café : la peau, la pulpe, le mucilage, la fleur et le marc. « En me renseignant sur les cafés nobles et rares, je me suis aussi beaucoup intéressée à l’histoire du café. À travers les livres je me rendais compte qu’il était beaucoup question du traitement chimique de la pulpe et de la peau des cerises. J’ai aussi appris que, pour survivre, les esclaves se nourrissaient de la pulpe à l’époque où les colonies françaises pratiquaient la culture du café sur les îles. Donc je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire avec tous ces sous-produits, considérés aujourd’hui comme des déchets, d’autant plus que je savais déjà qu’ils polluaient énormément les rivières dans lesquelles ils étaient jetés. »
C’est dans les exploitations colombiennes les plus reculées et hautes en altitude que Vera a trouvé matière à réflexion : « Ces fincas, perdues au milieu de nulle part, utilisaient les déchets du café pour en faire du compost ou bien, avec la peau de la cerise, des infusions. Je trouvais ça déjà très intéressant. Et puis, un jour nous avons été mis en contact avec un producteur dont on ne connaissait rien hormis qu’il était relativement important puisqu’il possédait des milliers caféiers et des montagnes. À mon grand étonnement, moi qui m’attendais à voir quelqu’un qui abusait des pesticides, je suis tombée sur un homme vouant un amour essentiel à ses caféiers, avec une fille très engagée dans la protection de l’environnement et des animaux. Il avait entendu parler de moi et connaissait mon intérêt pour les déchets du café. Il nous a accueilli dans un bureau fait d’immenses verrières, surplombant la nature… Il nous a expliqué que depuis 15 ans, sa fille ainsi que toute une équipe d’agronomes et de chercheurs procédaient à des analyses scientifiques sur les sous-produits du café. Il était très étonné que ce soit une européenne qui s’intéresse à ça alors que personne jusqu’ici personne n’avait porté d’intérêt à son travail. Deux semaines plus tard, il nous annonçait que notre start-up serait la seule, en Europe, à pouvoir accéder à leurs analyses scientifiques et travailler avec eux. »
Offrant donc à Cereza de Café une exclusivité totale sur tout le marché européen pour commercialiser les produits élaborés grâce à ces recherches, Vera a ainsi eu accès à l’information lui permettant de savoir comment extraire le mucilage du café pour en faire un produit consommable et gustativement exemplaire. Cette transformation du mucilage a pour résultat le futur produit phare de la start-up : Nommé « Elixir », il s’apparente à un jus extrêmement concentré, aux notes de fruits rouges (n’ayant rien en commun avec le goût du café), et se révèle 300 fois plus antioxydant que la baie de goji – qui fait partie du haut du classement des supers aliments. « Ce que l’on extrait de la cerise représente 1%, c’est minime. Nous avons déjà fait tester le produit par des chefs, des sommeliers, des pâtissiers. Il peut s’utiliser dans la nourriture comme en cocktails. Les premières appréciations étaient que “j’avais un truc de fou entre les mains”. » Ce produit étant nouveau sur le marché européen, Vera a cependant dû faire traduire les analyses scientifiques dont elle disposait afin de les faire valider par la commission européenne et les douanes. « Aujourd’hui on a tout ficelé pour être protégés. Il ne reste plus que la validation au niveau européen pour démarrer la commercialisation. Nous serons en mesure d’apporter une traçabilité totale sur chaque produit de la start-up puisque le producteur qui nous a donné accès aux analyses scientifiques sera notre seul fournisseur et tous ces produits seront totalement exempts de traces de pesticides. »
Proposer des choses différentes est un fil conducteur dans le travail de Vera. Elle fut la première à avoir introduit le slow coffee à Reims, faisant découvrir à sa clientèle la largesse d’arômes et de textures que le café est en capacité d’offrir. Aujourd’hui elle continue à performer dans son métier et d’en élargir encore le spectre avec Cereza de Café. Comme si elle nous prenait par la main pour nous montrer de nouveaux horizons, le travail de Vera est une invitation à penser et à consommer plus grand.