Anciennement située rue de Tambour, la Maison des Musiciens a cédé sa place à un mur bétonné auquel personne ne prête attention. Pourtant, au XIIIème siècle, se dressait là, aux côtés de la Demeure des Comtes de Champagne, l’un des plus beaux édifices de la ville. L’association « Renaissance de la Maison des Musiciens de Reims » s’apprête aujourd’hui à en reconstruire la façade.
Jouissant au XIXème siècle d’une grande renommée, la Maison des Musiciens fut maintes fois étudiée par les architectes de l’époque. Sa façade sculptée constituait un exemple rare de décor profane de la période médiévale et fut même considérée par Eugène Viollet-le-Duc comme « l’une des plus belles statuaires laïque d’Europe ».



Bien que le passé et la vocation de cette demeure bâtie vers 1260 restent flous, celle-ci aurait appartenu à un marchand ayant fait fortune dans le commerce des étoffes de lin, à l’époque où la prospérité de Reims reposait principalement sur le textile. Dans un élan ostentatoire, ce riche commerçant aurait fait construire sa maison rue de Tambour, au cœur de l’ancien quartier d’affaires, et l’aurait habillée d’un ensemble sculptural composé de quatre musiciens encadrant un cinquième personnage, l’auditeur – très certainement la représentation du maître des lieux. Ces sculptures ne sont pas sans rappeler les musiciens figurant sur la cathédrale de Reims. « On a la quasi assurance que ce travail a été fait par les sculpteurs de la cathédrale. C’est complétement connexe sur le plan chronologique », souligne Jacques Douadi, le président de l’association visant la restitution de la façade.

Aujourd’hui exposé au Musée Saint-Remi de Reims, le décor sculpté a heureusement été mis à l’abri avant le bombardement de 1918 qui détruisit entièrement la demeure. Grâce aux vestiges conservés et à une abondante documentation composée d’iconographies du XIXème siècle et de photographies, l’association « Renaissance de la Maison des Musiciens de Reims », devenue propriétaire de l’emprise foncière du mur par donation de la Maison Taittinger, a pu lancer le projet de reconstruction.
En concertation permanente avec l’architecte des Bâtiments de France ainsi que l’association, c’est l’architecte rémois Frédéric Coqueret (agence BLP), accompagné d’Alice Capron-Valat (architecte du patrimoine), qui a pris en charge le dossier. Il s’est pour cela entouré d’un collège de personnes ressources pour l’épauler dans la restitution de la statuaire. Parmi eux, le professeur émérite d’histoire médiévale (membre de l’association) Patrick Demouy, et l’Instrumentarium de Reims consulté pour son expertise en matière d’instruments du Moyen-Âge.




Pour éviter l’approximation en l’absence de certitude quant à l’état initial du décor, il fut unanimement validé que le rez-de-chaussée de la façade serait traité de telle façon à ce qu’il traduise, grâce à un effet de reliefs en creux, les traces du passé architectural de l’édifice. Le portail qui intègre ce rez-de-chaussée sera quant à lui finement travaillé en bois de chêne et fonte d’aluminium.
Ne s’agissant pas d’une reconstruction « archéologique », les sculptures originales resteront exposées au musée Saint-Remi. Ce sont donc des reproductions, réalisées grâce à la modélisation numérique et au travail de finition d’un artisan, qui figureront sur la façade. Ces copies, tel que nous l’explique le président de l’association, auront cependant été complétées avant d’intégrer l’édifice : « On ne peut pas se contenter d’une restitution de la statuaire telle qu’elle était en 1918 car elle avait déjà beaucoup souffert. Hormis un musicien, plus aucun d’eux n’avait encore son instrument de musique. Nous n’allons pas les guérir de l’ensemble des blessures du temps mais au moins de la disparition de leurs instruments et des membres du corps permettant d’en jouer. Quant à l’auditeur, nous allons restituer le faucon qui reposait sur son poing. On essaie vraiment de proposer une restitution intelligible et qui ait du sens. »


Réunissant un petit lot de personnes éminemment impliquées dans le rayonnement culturel de la ville des Sacres, l’association, créée en 2015, devrait poser la première pierre cette année. Le chantier qui s’étendra sur près de douze mois, a pu être financé grâce aux collectivités territoriales, à des mécènes privés français mais également étrangers, preuve de la valeur patrimoniale que revêt l’édifice pour la ville de Reims bien sûr, mais aussi plus largement, aux niveaux national et international.