Le photographe a réalisé toute une série de clichés sur le chantier de transformation du siège de la Maison de Champagne Taittinger, à Reims.

Ouvrir sur un tout autre imaginaire que celui qui semble s’offrir au premier regard, donner d’autres sens à la matérialité d’un objet ou d’un lieu, proposer de voir tout autrement des formes jusqu’alors familières… La recherche que mène Hervé Robillard relève autant de l’intuition que d’une pensée complexe. D’emblée, à la question de savoir pourquoi il a choisi le médium photographique comme mode d’expression artistique, il répond qu’il a vu là « une manière de questionner ce qui peut exister de plus haut dans la pensée ». L’ambition d’une vie d’artiste, donc, autour de ces deux axes que sont « la philosophie et l’ouverture au monde ».

Très jeune, il se passionne pour l’Asie, pour les philosophies d’Extrême-Orient, au point de partager sa vie entre la France et l’Asie depuis maintenant 25 ans. Il s’explique : « Je n’ai jamais été totalement satisfait de ce que la pensée occidentale disait de la vie ». Elle ne pouvait être la seule manière de voir le monde. Alors, à la lecture des travaux du philosophe François Jullien, Hervé Robillard met des mots sur ce qu’il pressentait déjà au contact de ces cultures lointaines. « Jullien nous explique que la pensée occidentale, celle des philosophes grecs, est fondée sur la question de l’être. Mais, la pensée chinoise, et d’autres en Extrême-Orient, se sont construites tout à fait différemment ».

Sans renier la philosophie occidentale, le photographe a situé son travail « dans cet espace précis, cet entre-deux qui nous est ouvert entre ces deux pôles de la pensée philosophique ». Pour d’autres possibles, non pas autour de « l’être » donc, mais « quasi exclusivement sur le lieu et sur l’objet ». Hervé Robillard a trouvé en Asie l’intériorité, l’espace, le travail de l’architecte Tadao Ando qui l’accompagne depuis si longtemps, la matérialité et l’immatérialité des choses…

Au fil des ans, il a donc collaboré avec des musées, photographiant, toujours en lumière naturelle, fossiles, bols antiques, socs de charrues, textiles ou épées médiévales, pour en livrer toutes les variations de formes, les aspérités, les entailles, les brisures. « Je ne renie d’aucune manière le travail scientifique qui est fait autour de ces objets, mais le médium photographique me permet de révéler un autre monde, d’ouvrir sur un imaginaire, en montrant une plus grande expressivité de ces objets ». Il y a là un travail subtil, uniquement en noir et blanc, sur toutes les valeurs de gris, sur le grain, la qualité de lumière imposée par le lieu de la prise de vue… « J’aime créer le trouble, quand on ne sait plus si ce que l’on a devant soi est une photographie, ou bien un dessin, une gravure… » Pour Hervé Robillard, ces deux dernières années ont été marquées par un long compagnonnage avec la Maison de Champagne Taittinger, à Reims. Au moment de sa rencontre avec le photographe, Vitalie Taittinger, la présidente du Champagne Taittinger, allait engager de vastes travaux de rénovation de son siège social, situé sur les anciennes crayères de la butte Saint-Nicaise, à Reims. Elle lui propose alors de suivre pendant deux ans ce chantier de transformation.

Hervé Robillard se souvient d’avoir travaillé, déjà, dans un rapport très étroit à un lieu. C’était à Sarajevo, dans une ville détruite, il y a plus de vingt ans. Puis à l’abbaye Notre-Dame de Sénanque, en Provence. Un temps suspendu. Pour lui, il s’agit à chaque fois « d’une quête de l’esprit des lieux, de ses vibrations, de son intériorité ». À Reims, Vitalie Taittinger lui a donné carte blanche. « J’ai abordé ce lieu avec mon savoir-être, plus qu’avec mon savoir-faire, observe-t-il. J’ai cherché à ne faire qu’un avec le genius loci pour laisser apparaître une réalité plus prégnante, qui soit en phase avec les pulsations profondes du monde intérieur ». L’approche est méditative, presque recueillie dit-il, pour « nous plonger dans l’infinie présence du lieu ». Il n’est plus question de lieu, donc, mais « de l’être-lieu, dans ses relations à la fois matérielles et immatérielles ».

L’artiste porte son regard sur ce chantier, les murs, les sols, quelques éléments de décor ou un matériel épars. Son travail n’est pas documentaire. Hervé Robillard cherche à faire émerger la beauté de tout cela. « Pour moi, les choses sont en perpétuel mouvement. Je cherche à en sublimer la beauté, à trouver leur réalité profonde, je leur assigne une forme d’intranquillité ». Pour l’exposition des trente-quatre photographies sélectionnées sur un total de quatre-vingt-quatre produites pour la Maison Taittinger, il a choisi de toutes les présenter en très petit format. Toutes sont au format carré 11×11, ce sont des miniatures. « Plutôt que de donner à voir, laisser apparaître ».

Ici, les détails, « les surfaces exhumées avant recouvrement, les métamorphoses successives », une forme d’intimité qui se crée là… À Saint-Nicaise, il a senti « un flux » le traverser, puis circuler entre lui « et toutes les dimensions de ce lieu. Et j’y ai trouvé cette forme d’unité que je recherchais, dit-il. Lorsque je réalise ces photographies, je ne suis pas devant le monde, mais dans le monde ». 

Les photographies d’Hervé Robillard pour la Maison Taittinger sont à découvrir au sein de la Maison Taittinger, à Reims.

herverobillard.fr

Photos de une : série “L’être-lieu Taittinger… Une métamorphose”
Texte : Cyrille Jouanno