En cette journée internationale des droits des femmes, nous revenons sur l’histoire de Gala qui fut la muse de Dalí, et bien plus encore.

Dalí a fait construire une crypte dans les caves du château de Púbol, une demeure médiévale de style gothique renaissance, qu’il a offert à sa muse Gala. Ils y reposeraient un jour ensemble, côte à côte, et leurs mains se toucheraient pour toujours. Il avait fait creuser un trou dans chacune des tombes pour que leurs doigts s’entrelacent à jamais.

Gala est partie avant Dalí, en 1982, et elle l’attend toujours. Dalí, décédé en 1989, dort à Figueras dans le théâtre musée qui porte son nom, sa « dernière grande œuvre », disait-il de ce lieu qu’il a lui-même conçu. À Púbol, dans la crypte aux reflets mordorés, c’est une girafe qui veille toujours sur sa muse adorée…

Tout avait débuté une cinquantaine d’années plus tôt. Gala, de son vrai nom Helena Diakonova, est alors une brillante étudiante à la santé délicate. En 1912, la tuberculose dont elle souffrait s’aggrave et sa famille décide d’envoyer la jeune russe au sanatorium de Clavadel, à Davos en Suisse. Les journées y sont longues et solitaires. Un jour, elle fait la connaissance d’Eugène Grindel (qui deviendra Paul Eluard peu de temps après), un jeune homme de son âge, qui lui lit des poèmes. Elle l’encourage. « Vous serez un très grand poète », lui dit-elle. Ils partagent le goût de la lecture et se lient d’une grande amitié. En 1914, les deux pensionnaires reçoivent leur bon de sortie. Elle rentre en Russie et lui rejoint le front. Ils se sont fiancés avant de se dire au revoir.

En 1917, ils se marient. Gala, une orthodoxe, se convertit au catholicisme. Paul Eluard, qui s’est fait un nom dans le milieu artistique, fréquente les avant-gardistes du mouvement surréaliste, en particulier les fondateurs de la revue Littérature : André Breton, Philippe Soupault et Louis Aragon. C’est aussi la rencontre avec Max Ernst, un peintre sculpteur dont l’œuvre se rattache aux mouvements dadaïste et surréaliste. Elle succombe à son charme. Gala, Paul et Max vivent sous le même toit. Cette relation nourrira les œuvres des deux artistes avant que la jalousie ne réduise en miettes ce triangle amoureux si emblématique du mouvement de l’époque.

En 1929, Salvador Dalí se rend à Paris pour présenter le film qu’il a réalisé avec Luis Buñuel, Un chien andalou. Camille Goemans, un poète et galeriste belge, lui présente Paul Eluard. Le jeune peintre catalan invite le couple à Cadaques, un petit village de la Costa Brava, en Espagne, tout blanc sur fond de mer bleue.

La légende raconte qu’au premier coup d’œil, Gala juge le peintre antipathique et insupportable. L’artiste est extravagant. Il s’automutile et se parfume à la colle de poisson et aux excréments de chèvre… Et tombe amoureux du dos nu de Gala. « Elle était ma Gradiva (d’après un roman de W.Jensen dont le personnage principal est Sigmund Freud ; Gradiva est l’héroïne qui permet la guérison psychologique du protagoniste), celle qui avance, ma victoire, mon épouse », écrira-t-il dans la Vie secrète de Salvador Dalí. Il se regarde dans les yeux de Gala, son miroir. Qui est l’artiste ? qui est la muse ? Au fil des heures, des jours, ils échangent, ils se confondent et ils fusionnent. Gala est Dalí et Dali est Gala. Leur vie est liée. Elle est convaincue du génie du peintre. Gala quitte Eluard.

Dalí et Gala s’épousent civilement en 1932. Le temps des vaches maigres ne dure guère et Dalí est vite reconnu et prisé dans le monde de la peinture et des surréalistes. Gala est son ambassadrice, connue et respectée dans ce monde d’intellectuels. Elle gère les comptes et négocie avec les galeries et les distributeurs. Elle l’encourage à peindre et a une grande influence sur sa production artistique. Elle gère la vie quotidienne et veille sur lui. C’est une période formidable, les rencontres sont enrichissantes. Toutes ces connaissances sont une source d’inspiration pour Dalí, de Freud à Chanel. Mais, en 1939 le peintre catalan est exclu du mouvement surréaliste pour ses propos sur Hitler et Franco. Le couple s’exile à New York. Dalí en profite alors pour diversifier ses talents, cinéma, création de bijoux, décors de théâtre.

En 1948, ils rentrent des États-Unis, après huit ans d’exil. Le père de Dalí accepte enfin la relation de son fils avec une femme russe et séparée. Dix ans plus tard, Dalí et Gala se marient religieusement au sanctuaire des Angels, près de Gérone en Espagne. En 1968 il achète le château de Púbol à Gala. Ironiquement, Dalí avait besoin de sa permission écrite pour lui rendre visite.

Elle sera à la fois sa muse et sa mère, « le calmera, le protégera, l’arrachera à ses frayeurs et à ses angoisses », écrit Cénac. Elle sera aussi son agent publicitaire. « Femme d’affaires remarquable, c’est elle qui discutera et signera ses contrats », écrit à son sujet le photographe Brassaï. Elle pose inlassablement pour lui. Beaucoup de ses œuvres la font apparaître sous différentes formes. Dans La Madone de Port Lligat, il la mystifie totalement. Il utilise même le nom de Gala dans certains de ses œuvres comme dans L’Angélus de Gala. Les deux ont travaillé ensemble, main dans la main, et se sont parfaitement bien complétés. En réalité, elle était la co-autrice de son œuvre et c’est d’ailleurs ainsi que le peintre l’a toujours reconnue. « Un baiser scella mon avenir, dit le peintre. Gala devint le sel de ma vie, le temple de ma personnalité, mon phare, mon double, mon moi. Depuis ce moment, Dalí et Gala demeuraient unis pour l’éternité. »

Gala meurt le 10 juin 1982 dans leur maison de Port Lligat, auprès de lui. En secret, il transporte le corps de sa divine épouse dans sa Cadillac jusqu’au château de Púbol. Seul, hagard, affecté et désespéré par l’absence de sa muse nourricière, de sa Gradiva, Salvador Dalí s’éteint en 1989, mettant en scène sa dépouille, comme le génial trublion qu’il a toujours été. Dalí voulait être enterré avec elle… Il repose dans le théâtre musée qui porte son nom, à Figueras, sous la coupole qu’il décrivait comme « le centre de son univers ». L’histoire ne dit pas si Dalí est à l’origine de ce revirement de la dernière heure même si certains affirment qu’il s’agit de la dernière volonté du peintre. Aujourd’hui encore la polémique perdure. Et Gala attend toujours que la main de Dalí étreigne la sienne.

Texte : Roberto Alvarez (Flacons of Champagne)
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