Reporter-voyageur et grand photographe de mode, Frank Horvat, disparu en 2020, a marqué l’histoire de la photographie. Légataire de son œuvre, sa fille, Fiammetta Horvat, revient sur les problématiques liées à la gestion d’un fonds de photographies mais aussi ses projets pour, au-delà de la valorisation du travail de son père, faire de son atelier-studio à Boulogne-Billancourt, un lieu vivant pour la photographie. Rencontre.

Quel a été votre parcours avant d’assurer la gestion du Studio Frank Horvat ?

Fiammetta Horvat : Je n’ai pas suivi un parcours académique. À la fin des années 90, à l’âge de 18 ans, je suis partie à Londres où j’ai fait carrière dans le théâtre en tant que scénographe. Puis en 2017, Brexit oblige, j’ai décidé de rentrer en France. Là, j’ai accepté l’offre de mon père de travailler à ses côtés et j’ai eu la chance de l’accompagner durant les dernières années de sa vie. Ce furent trois années merveilleuses de complicité, de voyages et de transmission qui m’ont donné les clefs pour parler en son nom.

Le Studio Frank Horvat

Comment s’est passée la création du fonds Frank Horvat ?

F. H. : Mon père était obsédé par la nécessité de laisser des traces et, à la fin de sa vie, il déployait une énergie considérable pour classer, écrire, expliquer son œuvre. Rares sont les légataires qui héritent d’un fonds aussi rigoureusement ordonné, annoté et trié. Il avait aussi créé une société immobilière pour préserver l’intégrité du fonds, détenue à parts égales entre les cinq ayants droit, à savoir mes quatre frères et moi-même. S’ils admirent le travail de mon père, mes frères n’ont pas le même vécu, ni le même engagement. Ils m’ont laissé carte blanche pour gérer le fonds mais il est essentiel pour moi de sauvegarder aussi l’atelier-maison de Boulogne-Billancourt où mon père a travaillé pendant quarante ans et la collection de photographies qu’il a constituée tout au long de sa carrière.

Avez-vous été approchée par des institutions publiques ?

F. H. : Pas du tout. Il existe en France tout un réseau d’institutions spécialisées, telles la BNF, le Centre Pompidou, la Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie et bien d’autres, mais les ayants droit ne sont pas approchés spontanément et il faut soi-même mettre les choses en place.  Quand je vois la peine que j’ai eu à obtenir des rendez-vous, j’imagine combien cela doit être difficile pour une œuvre moins connue… Il faut dire aussi que mon père, dans ses dernières années, s’était coupé du monde. D’une grande impatience et très attaché à sa liberté, il multipliait les projets, travaillait jour et nuit, en sachant que son temps était compté. Son exigence l’a isolé. Je dois aujourd’hui recréer des liens, faire tout un travail de reconquête.

Le Studio Frank Horvat

Quelles ont été vos priorités ? 

F. H. : Pour décider, il faut comprendre. Donc ma priorité a été de connaître le fonctionnement du milieu photographique. Avec l’aide de Sabine Weiss et sa précieuse assistante Laure Augustin, je me suis rapprochée de nombreux ayants droit de photographes et de fondations pour explorer les meilleures façons de valoriser un fonds. Chaque cas est différent. Mais il est certain qu’il faut prendre le temps de penser une œuvre pour assurer son futur. J’ai la chance d’avoir ce temps et que le fonds génère assez de moyens pour être indépendant.

Quelles sont justement les principales sources de financement du Studio Frank Horvat ?

F. H. : Le financement provient essentiellement de la vente des tirages. Mon père bénéficiait d’une notoriété internationale, notamment dans le secteur de la mode. Il avait choisi, dès les années 70, de commercialiser des tirages numérotés et signés, en trente exemplaires. Ses photographies de mode attirent toute une clientèle de collectionneurs et génèrent des sommes assez importantes pour couvrir les frais de fonctionnement du studio.

Les ayants droit ont-ils la possibilité de faire des tirages à titre posthume ?

F. H. : Seule la personne qui détient le droit moral, en l’occurrence moi et moi seule, peut réaliser des tirages posthumes, à condition que les images n’aient jamais été éditées. D’où l’importance de connaître et respecter les intentions de l’artiste disparu. Je ne peux en aucun cas revenir sur les tirages numérotés mais je peux sélectionner des photographies inédites et choisir le nombre d’exemplaires en toute liberté. Dans l’œuvre prolifique de mon père, il y a ainsi plusieurs ensembles dont une très belle série consacrée à Hong Kong que je vais éditer prochainement.

Qu’en est-il des livres et des expositions ?

F. H. : L’édition permet de créer de merveilleux projets mais ne rapporte rien. Quant aux expositions muséales, comme celles du Jeu de Paume, elles offrent un bel éclairage sur l’œuvre mais elles rémunèrent peu. En revanche, les partenariats avec des maisons de mode comme ceux que j’ai conclu avec Chanel, Louis Vuitton ou Givenchy, sont nettement plus intéressants sur le plan financier. En France, dans le milieu culturel, il y a encore trop souvent une polémique entre privé/public alors que des sponsors permettent de travailler autrement, plus vite, sans sacrifier à l’exigence de qualité.

Frank et Fiammetta Horvat

Quels sont vos projets pour faire vivre le Studio Frank Horvat ?

F. H. :  Il n’est pas question pour moi d’être juste la gardienne du temple. Mon objectif est que le studio soit reconnu comme une référence dans le monde de la photographie, un lieu vivant d’exposition, de rencontres et d’échanges. Dans cette perspective, des artistes ont déjà été invités à dialoguer avec les archives de mon père. Valérie Belin a travaillé autour des photographies de strip-tease et Anne-Lise Broyer, autour de la série Goethe en Sicile, en partenariat avec le Musée Albert Kahn. Le studio a également vocation à accueillir des artistes émergents. Nous allons ainsi exposer, au printemps, le lauréat 2022 du prix Camera Clara. 

Nous faisons désormais partie du Parcours de Paris Photo et sommes ouverts à des collaborations avec d’autres structures pour diffuser le fonds mais aussi mettre en lumière la collection de mon père qui réunit 500 tirages des plus grands artistes de son temps et représente un véritable manifeste de ce qu’était la photographie pour lui.

Votre rêve pour le futur ?

F. H. : Avoir plus de moyens pour garantir l’avenir du lieu et poursuivre la valorisation de l’œuvre de mon père. Photojournalisme, mode, paysages, animaux, natures mortes et même conception numérique, il n’a jamais cessé d’expérimenter et d’innover. J’aimerais sortir de la mode et de la nostalgie des années 60 pour révéler d’autres facettes de son travail.  Il y a aussi tous ses écrits, ses carnets, ses enregistrements… À terme, ce fonds patrimonial devrait trouver sa place dans une institution publique.

Exposition “Frank Horvat, Paris, le monde, la mode” au Jeu de Paume
Du 16 juin au 17 septembre
1 place de la Concorde, Jardin des Tuileries, 75 001 Paris / jeudepaume.org

studiofrankhorvat.com / IG : @frankhorvatstudio

Texte : Anne de la Giraudière
Image de une : Frank Horvat, For Stern, Shoes and Eiffel Tower, Paris, 1974