L’ancienne sportive de haut-niveau rêve d’une cuisine qui conjugue tout à la fois l’écologie, la santé et le goût. Elle devrait ouvrir son premier restaurant en fin d’année.

On qualifie souvent un peu vite un parcours d’« atypique ». Pour Manon Fleury, le raccourci journalistique prend tout son sens. Rien ne prédestinait vraiment cette sportive de haut-niveau, membre de l’équipe de France junior de sabre, puis étudiante en hypokhâgne, à se tourner un jour vers la cuisine. Il y a là, bien sûr, et comme toujours, une part de transmission. Le souvenir de ces étés dans le grand verger de sa grand-mère, « les fruits, les tartes et les confitures », et aussi les plats de sa mère, qui cuisinait bio, ce qui était alors plutôt rare. « J’ai été biberonnée au tofu ! », sourit la jeune femme, trente ans aujourd’hui.  Tout autant qu’à la seule cuisine, peut-être, Manon Fleury était surtout sensible « aux moments de partage que sont les repas, à la générosité d’un plat que l’on cuisine pour faire plaisir aux autres ».

Un temps, l’étudiante s’imagine conjuguer ses deux passions et devenir journaliste culinaire. Avant de prendre ce genre de décision qui, sur un coup de tête, peut changer une vie, elle va cuisiner. Et plutôt que de choisir la voie classique qui aurait pu s’offrir à elle, en BTS restauration, elle préfère l’école Ferrandi, à Paris.L’ancienne sportive de haut-niveau devient apprentie, découvrant un tout nouvel univers de travail. « Comme le sport, la cuisine est un peu un monde à part dans lequel le rythme, le physique et le mental ont une grande importance. » Du mental, il lui en a fallu énormément pour rattraper les deux ou trois années de retard qu’elle concède à ses camarades de promotion. 

Dès le début, elle fait le choix d’aller vers « des cuisines d’auteurs, de vrais personnages, parfois clivants dans leurs choix », en débutant comme apprentie chez William Ledeuil (Ze Kitchen Galerie), une étoile au Michelin, et en enchaînant les expériences auprès d’Alexandre Couillon, de Pascal Barbot… « Il fallait vraiment se fondre dans leur univers, défendre un projet engagé qui était le leur. » Elle se souvient de la confiance accordée, de l’écoute qui lui était réservée. « J’essaie d’en faire de même aujourd’hui, assure-t-elle. La bienveillance au sein de la brigade, c’est extrêmement important pour moi. J’écoute, je laisse de la place aux commis pour qu’ils puissent s’exprimer, pour que chacun ait son mot à dire dans le projet commun, qu’il soit stagiaire ou chef de partie. » 

Le vrai tournant de sa jeune carrière intervient lorsqu’après avoir obtenu son diplôme, elle part pour New-York pour rejoindre le restaurant Blue Hill Farm du chef Dan Barber. Au début, il s’agissait surtout d’y approfondir son anglais. Elle y découvre un restaurant concept qui n’existe pas vraiment en France. Un farm-to-table, un restaurant pensé en binôme avec une ferme qui produit exclusivement pour celui-ci. « J’avais déjà des engagements, un intérêt pour la permaculture, pour une utilisation intelligente des produits de saison, mais là, je me suis ouverte à tout autre chose », se souvient-elle. En France, Michel Bras ou Alain Passard ont été des pionniers, avec une cuisine végétale, sans concession à l’esthétique et à la qualité du plat. « Mais on n’est peut-être pas allé assez loin sur les questions de santé et d’écologie qui me préoccupent au quotidien », explique Manon Fleury. Il reste un espace à conquérir entre une cuisine végétale que l’on a pu juger parfois un peu fade et la cuisine française. Et c’est à cela que la jeune cheffe entend consacrer ses prochaines années. « Je veux montrer que l’on peut conjuguer écologie et santé en proposant des plats qui aient du goût, où l’on se sent accueilli par son assiette, où l’on ne verse pas dans trop de radicalité, dans l’austérité, assure-t-elle. Il faut aller vers une sorte de simplicité, mais qu’elle ne se voit surtout pas dans l’assiette. » Avec une attention à l’esthétique donc, « mais aussi aux jus, aux sauces, à tout ce qui va permettre d’augmenter l’expérience » de celui ou celle qui s’invitera à sa table. Et c’est là qu’elle fera la différence. Avec une cuisine à 70% végétale dans laquelle la protéine carnée est davantage utilisée comme un « condiment » que comme la pièce maîtresse d’un plat.

L’été dernier, elle a dirigé les cuisines du restaurant saisonnier L’Elsa, à Roquebrune-Cap-Martin, une table pionnière, elle aussi, pour une cuisine éthique et responsable. La carte y était inspirée de la nature méditerranéenne : Gamberoni de San Remo, framboises et gelée de fleurs de capucines ; Tourte de légumes et herbes du jardin d’Agerbol ; Navet mariné, crème d’olive verte et cerises… « J’ai aimé faire évoluer ma cuisine avec les produits, se souvient-elle. Pendant plusieurs mois, par exemple, j’ai travaillé sur cette tourte aux légumes, construite comme un millefeuille, et qui m’a permis une déclinaison de couleurs au fil du temps. En mai, elle était plutôt blanche avec les légumes du printemps, puis elle s’est teintée de rouge (tomate, betterave…) avant de prendre le jaune de l’automne en octobre (courge, poivron jaune…) ».

En mai, elle publiera son premier livre de recettes sur les céréales, auxquelles elle entend rendre leurs lettres de noblesse. Puis, en parallèle, elle travaillera sur son grand projet, celui que la crise sanitaire a repoussé de quelques mois. Il s’agit de l’ouverture, en fin d’année, de son tout premier restaurant. Ce sera à Paris, bien sûr. Voici deux ans, alors qu’elle officiait au Mermoz, elle était sacrée « Jeune cheffe parisienne de l’année », un prix décerné par Elle à Table.

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Texte : Cyrille Jouanno
Manon Fleury © Pauline Gouablin