La différence a toujours nourri l’art. Rodrigo Salgado, artiste porteur de la trisomie 21, apporte la sienne dans une exposition exceptionnelle présentée à Reims jusqu’au 10 septembre 2025 à l’Atelier Simon-Marq, dans le cadre de la saison Brésil-France 2025. Une invitation à découvrir son talent reconnu et son monde intérieur en couleurs.

L’ancienne église du Sacré-Cœur de Reims est, en ce printemps, le lieu des premières fois. Première fois que 16 de ses fenêtres hautes et étroites sont habillées de vitraux colorés. Première fois que sa nef accueille une exposition. Première fois que Rodrigo Salgado présente ses créations au public. À l’origine de cet heureux enchaînement, une histoire d’art, d’amour filial et d’amitié généreuse qui a commencé à se tisser en 2016.

À l’époque, le Champagne Taittinger prépare la sortie de son Brut Millésimé 2008. Comme à son habitude, il demande à un artiste de mettre sa touche personnelle sur l’étiquette. Son choix se porte sur le grand photographe brésilien Sebastião Salgado. Celui-ci propose la photo noir et blanc d’un léopard s’abreuvant à la source, scène qu’il a saisie dans la vallée de Barab River en Namibie. Le léopard, devenu l’emblème de cette édition de la Taittinger Collection, a définitivement marqué les esprits. Il a aussi rapproché les familles Salgado et Taittinger qui entretiennent, depuis, des liens puissants. En joignant leurs forces, elles ont conçu un projet incomparable dont le personnage central est Rodrigo, le fils cadet de Lélia et Sebastião.

Un talent en plus

Rodrigo est né il y a 45 ans, avec un chromosome et un talent en plus. Depuis son plus jeune âge, il dessine, colorie, peint. Tous les jours. Des heures durant. Dans sa chambre ou dans l’atelier voisin de l’artiste-peintre et ami Michel Granger. Là, se met en place un rituel rassurant : les mêmes biscuits à grignoter, la même table de travail, les mêmes feuilles blanches de papier Arches. À aucun moment le professionnel ne tente de devenir le professeur de cet enfant joyeux et prodigue de son amour, préférant le laisser s’exprimer avec toute sa spontanéité.

« Je le voyais réfléchir, se concentrer, avant de tracer au marqueur le squelette de ce qu’il allait ensuite colorer. Rien de ce qu’il a fait n’est un hasard. » Comme toutes les mamans, Lélia conserve au fur et à mesure ces dessins épars comme un petit trésor familial. « À un moment donné, nous les avons trouvés si beaux que nous les avons montrés à des amis. A ma grande surprise, ils étaient prêts à en acheter ! » Les vendre, non, mais pourquoi ne pas les partager avec le public ?

Une telle pureté

L’Atelier de vitraux Simon-Marq de Reims, aujourd’hui installé dans l’église désacralisée du Sacré-Cœur, va être à la fois l’écrin et l’instrument du projet. Non seulement il se propose d’héberger l’exposition dans l’espace idéal de sa nef en béton, mais il va aussi se lancer dans la création, à partir de 24 dessins de Rodrigo, d’un ensemble de 16 vitraux qui seront valorisés sur place. Pierre-Emmanuel Taittinger, président de cette entreprise multicentenaire, a offert ses bons offices. Sarah Walbaum, directrice de l’Atelier, a pris le relais pour la réalisation technique : « Nous avons établi un lien avec l’artiste pour comprendre son œuvre et ne pas la recopier mais la retranscrire. C’est un projet différent qui nous a beaucoup mis en joie. Toute l’équipe était émue. Il y a une telle simplicité, une telle pureté dans ses dessins, ses couleurs. » Assez naturellement, le Champagne Taittinger est venu en soutien. « L’amour de l’art est important dans notre Maison, mais l’humain y aussi a une grande place », justifie Vitalie Taittinger, la présidente. « Dans la fragilité de cet enfant, il y a en même temps la force de la vie, une détermination, une évidence qu’on voit dans ses images. Il expose son regard sur le monde et nous, nous avons un regard sur son monde. »

Quatre phases

Son monde intérieur, Rodrigo ne le dévoile pas avec des mots mais avec des couleurs, dont l’intensité varie avec l’âge. Lélia a souhaité respecter cette évolution : les 80 tableaux de l’exposition sont organisés par phases. « La première phase où Rodrigo dessine des quantités de petits carreaux. La phase où, avec Michel Granger, il les fait dans des espaces plus grands, avec beaucoup de couleurs. La phase où il pleure beaucoup parce qu’il commence à perdre ses capacités et sa liberté de faire des choses : il utilise toujours les couleurs mais il les recouvre d’une couche de noir. Dans la phase plus récente, il remet plus de couleurs, peut-être parce qu’il commence à s’habituer à sa nouvelle vie moins autonome. »

Le 24 mai 2025, jour du vernissage, la famille Salgado et ses nombreux amis ont dû concilier des sentiments très éloignés : la fierté de révéler à Reims l’œuvre d’un enfant pas comme les autres et la douleur d’avoir perdu Sebastião qui venait de s’éteindre la veille. Une pierre sur le cœur, ils étaient cependant tous là pour célébrer Rodrigo, l’artiste-né. Michel Anger est catégorique : « Je suis frappé par l’homogénéité de son travail. Il y a derrière chacune de ses créations une intention très précise. C’est un travail de peintre, sans avoir à en douter. »

« Rodriguo, une vie d’artiste », jusqu’au 10 septembre 2025
Atelier Simon-Marq
Église du Sacré-Coeur
48 rue Ernest Renan, 51100 Reims
www.ateliersimonmarq.com/fr

Texte : Catherine Rivière
Photos : © Romu Ducros