Akemi Lucas, maître calligraphe japonaise, plus communément connue sous le dénominatif de maître KoShu, découvre l’encre de Chine et la calligraphie à l’âge de 8 ans. Aveugle de l’œil gauche des suites d’un cancer, cette pratique ancestrale devait améliorer l’équilibre et l’écriture de la jeune fille. Elle reçoit les enseignements de Maître Seizan Fujimoto, dont la lignée remonte au célèbre calligraphe de la période Meiji, Meikaku Kusakabe. À la tête de sa propre école de calligraphie et exposée aux quatre coins du monde, Akemi Lucas vit aujourd’hui de cet art empreint de la philosophie bouddhiste. Elle nous expose l’essence de cette pratique pleine de poésie. 

Pourquoi avoir choisi cette pratique comme mode d’expression ? 
J’ai toujours aimé exprimer mon cœur et mes pensées profondes par la danse, le chant et l’art… je savais qu’il y avait des choses impossibles à exprimer par des mots. […] Tenir mon pinceau m’a aidée à traverser les épreuves que j’ai rencontrées et la calligraphie est devenue une partie importante de ma vie.

Comment décririez-vous votre univers ?  
Mon art est tout simplement ma vie.  Je ne peux plus m’en passer. 
La calligraphie japonaise et la peinture Sumi* sont basées sur la philosophie Bouddhiste. Je me consacre à la création d’art quotidiennement et avec assiduité.  Je pratique la méditation pour entrer dans un état contemplatif profond, avant de créer les œuvres qui seront le reflet de moi-même.  Sur le papier, un seul coup de pinceau est autorisé pour chaque ligne, ce qui signifie qu’avant de peindre, j’essaie de faire grandir une vision achevée en moi-même et une fois que je prends le pinceau, je le laisse se déplacer sans effort guidé par mon énergie centrale.  Je crois qu’avec une pratique régulière il est possible de se donner pleinement à la création et de ne constituer qu’ “UN” avec l’Univers, et la vibration de chaque coup de pinceau peut renvoyer un puissant message au spectateur. 

Vous filmer en train de peindre fait-il partie de votre démarche artistique ?
Oui, je crois que l’amour que j’applique à chaque coup de pinceau peut atteindre le cœur des gens. Souvent le public s’émeut, je peux les sentir et nous constituons un ensemble.

Les formes et les couleurs apparaissent sous votre pinceau avec un naturel surprenant. Est-ce que vous répétez ? Faites-vous des ébauches à l’avance ? 
Oui, je fais des ébauches à l’avance et je m’entraîne à la mise en page, au timing et au rythme, comme un ballet.  Pour exprimer la profondeur d’un seul trait, je joue des différentes couleurs et densités de l’encre dans un même coup de pinceau, puis j’imagine le résultat final dans mon esprit et je m’imprègne des vibrations de la nature.  Je peux dire que c’est un voyage qui cherche l’instant, où chaque trait résonne avec la respiration de la nature. 

Avez-vous perçu des similitudes entre calligraphie et viticulture ? 
Oui, je pense. Pendant que je créais ces cinq œuvres [pour la Maison Taittinger], j’ai commencé à me connecter à l’histoire et au cycle d’élaboration du champagne.  J’ai imaginé et ressenti le vignoble recevant la lumière et l’amour du soleil, les dons de la terre, l’amour et les soins des vignerons. Ce processus résonne dans le cœur de celui qui déguste un verre de champagne.  Il en est de même pour ces calligraphies : c’est le voyage et l’expression de l’amour de l’Univers et de la nature qui se connectent à l’âme de l’artiste et touchent le cœur des spectateurs. 

*Le sumi-e:  peinture japonaise caractérisée par le lavis à l’encre noire et la prédominance du paysage comme sujet.

koshujapaneseart.co.uk

Texte : Amélie Cabon