Elle a passé sa vie professionnelle à soutenir les artistes, jusqu’au jour où Sarah Walbaum s’est elle-même jetée dans le bonheur de créer après avoir rencontré le verre pour vitrail qu’elle a respectueusement détourné de sa fonction première.
Ce sont des brisures de verre tombées des tables de travail lors de la coupe. Des petits éclats informes qui ne vont pas finir couchés sur un vitrail entre deux lignes de plomb mais jetés au panier. Avec ses yeux de Chimène, Sarah Walbaum y a vu bien autre chose que des balayures d’atelier : des miettes de beauté qu’il fallait sauver et remettre dans le circuit de la création pour leur redonner une haute valeur.
Alors elle les a recueillies, retaillées, triées par couleur, agglutinées, en avançant par tâtonnements. Entre son intelligence de la composition et ses mains adroites, les parcelles abandonnées sont peu à peu devenues des petits buissons cristallins qui s’épinglent en broches, des pattes d’oiseau tridactyles montées en boucles d’oreilles… Ces pièces uniques, translucides et unicolores, attirent et jouent avec la lumière du jour et de la nuit. La collection « Éclats » était née.
Matière, couleur, lumière
C’est le début de l’histoire parallèle qui s’est écrite entre les murs de l’atelier de vitraux Simon-Marq à Reims. Sarah Walbaum est entrée par la porte de la communication dans cette maison multi-centenaire que Pierre-Emmanuel Taittinger et Philippe Varin, grands défenseurs du patrimoine local, ont rattrapée par les cheveux avant qu’elle disparaisse et réinstallée dans une église désaffectée. D’abord occupée à promouvoir les savoir-faire et les réalisations de l’atelier, en restauration comme en création, elle l’accompagne depuis cette année, en tant que directrice, dans la transition vers un mode de fonctionnement plus entrepreneurial qui doit asseoir son avenir.
Le contact quotidien avec les artisans d’art et leur matériau très sensible a allumé quelque chose en elle. « Je suis tombée amoureuse des feuilles de verre. » Des feuilles soufflées à la bouche qui sont stockées dans un local dédié où s’alignent des grandes caisses de rangement organisées par teintes. « C’est un incroyable trésor. Il y a 1100 couleurs référencées. Cela a été une révélation pour moi qui ai toujours été passionnée par le pouvoir de la couleur. La matière, la couleur, la lumière : dans le verre, il y a tout. »
Un long processus
Après avoir travaillé sur l’infiniment petit pour ses bijoux, Sarah a repris sa recherche empirique avec les feuilles de verre qui mobilisent les cinq éléments : la terre, l’eau, le vent, le feu et l’espace. Important pour elle, soucieuse aussi de l’empreinte environnementale de son travail. En découpant des silhouettes et en les accouplant sur un socle en chêne, elle a dessiné, par superposition de formes, de textures et de couleurs, des évocations de la nature, de magnifiques paysages vaporeux que la lumière nuance.
« Je voulais rendre hommage à la beauté organique de la feuille de verre artisanale. Je ne cherche pas à exprimer quoi que ce soit, insiste-t-elle, je me suis laissée guider par le matériau, avec le désir de le respecter et de le mettre en valeur. » Les imperfections du verre, les dégradés de couleur naturellement générés par le soufflé-bouche, la casse fortuite dans la manipulation : tout est venu nourrir sa démarche, accomplie avec une obstination jamais découragée.
« Ce fut un long processus, admet-elle, comme une enquête policière, avec des recherches, des essais, des échecs, des réussites. » Et puis un jour les commentaires dubitatifs se sont tus, remplacés par des compliments enthousiastes et les premières commandes. La collection « Paysages » était née.

Boule d’énergie
Dernière de la fratrie, Sarah Walbaum a poussé sur un terreau favorable : une maman qui faisait art de tout et la promenait dans les musées, un papa collectionneur d’objets célébrant le travail de la main. Elle dessine, peint, découpe depuis l’enfance mais, refoulant sa vocation, a fait profession d’accompagner les artistes, notamment à la Comédie de Reims sous la direction de Ludovic Lagarde.
Le verre pour vitrail a réveillé l’artiste qui sommeillait en elle. Ce qu’elle voit comme une inépuisable « boule d’énergie » a libéré sa force créatrice. Un chemin de hasard ? Elle y voit plutôt une succession de petites grâces divines qui l’a amenée là où elle est.
Une galerie parisienne la représente aujourd’hui. Ses pièces sont proposées dans le nouvel espace Chromatique du Champagne Taittinger à Reims. Pour la même maison, Sarah a créé des pare-vues sur le modèle de sa collection « Paysages » pour le futur restaurant Polychrome. Vitalie Taittinger, présidente, lui a également donné carte blanche pour enluminer la résidence La Belle Enchantée du boulevard Lundy : applique, boule d’escalier Majorelle, lustre, sculptures… Ses créations de verre sont aussi visibles au restaurant Arbane de Philippe Mille. Les trophées du concours Reims à Table, c’est elle encore. Une artiste est née.
