La maladie importée des Etats-Unis a ravagé la vigne pendant plus de 30 ans. Avant qu’elle ne renaisse et que les paysages de Champagne ne prennent le visage qu’on leur connaît aujourd’hui.
L’actuelle pandémie de Sars-Cov 2 a rappelé à l’humanité combien elle était fragile et comment la circulation des hommes comme des marchandises était le moteur de la diffusion des maladies. Il en est ainsi de tout temps. Le monde végétal n’est pas épargné. Récemment, les platanes ou les oliviers ont été les victimes de la diffusion de maladies jusqu’alors exotiques. Au XIXe siècle, la vigne française a été frappée par l’arrivée en Europe du phylloxera, un simple puceron originaire des Etats-Unis et contre lequel la vigne européenne n’avait développé aucune stratégie de protection. C’est en piquant la vigne et en absorbant sa sève qu’il lui transmet la maladie du même nom. Infesté par ce puceron, un cep de vigne n’a pas plus de trois années de survie devant lui. Le dépérissement est inéluctable si les pucerons s’attaquent aux racines. Espèce endémique aux Etats-Unis le phylloxera est introduit malencontreusement en Grande-Bretagne par des pépiniéristes européens importateurs de végétaux.


Une lente progression
Le Sud-Est de la France est d’abord touché vers 1861/63, puis vient le Bordelais (1868), la vallée du Rhône (1871), la Bourgogne (1878) et, au terme de cette longue remontée vers le Nord, la Champagne (1890). C’est à Trélou-sur-Marne que les premiers cas sont identifiés, avant que toute la région ne soit touchée quatre ans plus tard. Le choc est énorme car, à l’évidence, il n’existe pas de moyen d’éradiquer le phylloxera. Il peine pourtant à s’implanter dans la Marne, ne touchant que quelques parcelles, de-ci de-là, avant que les cas n’explosent. Sur 24 hectares touchés en 1898, ce sont 560 hectares qui le sont deux ans plus tard. On tente bien d’assainir les surfaces en arrachant la vigne et en la brûlant, en diffusant des doses massives de sulfure de carbone. Rien n’y fait. Le phylloxera entraînera, en Champagne comme ailleurs, la ruine de nombreux petits exploitants qui vivaient modestement de quelques arpents de vigne. En 30 ans, la production vinicole française est presque divisée par deux, passant de 41 à 23 millions d’hectolitres.


La culture de la vigne réinventée
La lutte se poursuit jusqu’à la Première Guerre mondiale, sans que la progression du puceron ne puisse être stoppée. En 1880 déjà, on évoquait l’idée d’utiliser des plants américains, résistants au phylloxera, pour régénérer la vigne française. Après quelques expérimentations à la toute fin du XIXe siècle, leur usage sera autorisé dans la Marne à compter de 1901. Ces essais ont notamment permis d’apprécier la résistance, mais aussi la qualité de la production. On utilise alors des vignes greffées sur des plants américains appelés à remplacer peu à peu les vignes franches de pied. À de très rares exceptions, elles disparaîtront inéluctablement, faute de pouvoir s’adapter à l’envahisseur. Le vignoble est profondément transformé. Jusqu’alors, on cultivait la vigne en foule, c’est à dire en désordre, au gré des marcottages successifs. Le pied greffé ne se prête pas à cette organisation et c’est lors d’un remplacement des ceps que l’on introduit la culture en rangs, palissés, permettant le passage d’un cheval et donc une culture autre que manuelle. Les paysages de Champagne s’en sont trouvés profondément modifiés.