Jardin anglais ou français, conservatoire des tilleuls, le parc du château de La Motte Tilly est l’un des plus beaux de Champagne.
Un joyau de l’architecture française, doublé d’un balcon de nature au-dessus de la Seine. Voici comment, en quelques mots, il est possible de qualifier le domaine de La Motte Tilly, dans l’Aube, au sud de la Champagne. Succédant à une ancienne forteresse médiévale, aujourd’hui disparue, le château actuel a été édifié à partir de 1754 sur des plans de l’architecte François-Nicolas Lancret pour les frères Terray. Le plus célèbre d’entre eux fut l’abbé Joseph Marie Terray, alors contrôleur général des finances du roi Louis XV.
Tout à la fois résidence de campagne et relais de chasse, le château des frères Terray a conservé ses lignes épurées et l’élégance de ses façades.
Le nom du créateur des jardins de La Motte Tilly n’est pas parvenu jusqu’à nous. Il s’accorde pourtant avec les grands principes qui guident l’art paysager au milieu du XVIIIe siècle.
Influencés par Rousseau et les philosophes des Lumières, les Anglais sont les premiers à imaginer des jardins aux plans plus irréguliers que ceux de Le Nôtre à Versailles, le chantre d’une nature domestiquée par l’homme.
Dans ces allées tortueuses, peuplées de bosquets, on pose alors des « fabriques » : pagodes et kiosques chinois, pyramides, fausses ruines… Tout cela a fait de La Motte Tilly, un conservatoire exceptionnel.
Pour la seule année 1788, le neveu de Joseph Marie Terray, son héritier, a planté quelques 35 000 bouleaux, 1 600 houx, des cèdres bleus de l’Atlas, des pins noirs d’Autriche… Il en sera ainsi pour tout le XIXe siècle avant que le Comte de Rohan-Chabot, nouveau propriétaire du domaine, ne décide d’y créer, en avant et en arrière du château, un vrai « jardin à la française », avec ses allées rectilignes, ses « boulingrins ».
Il résulte de ces aménagements successifs un jardin unique, « mixte », selon les termes employés par celui qui veille chaque jour, amoureusement, sur son devenir…
Jean-Marie Verfaillie est le chef jardinier du domaine de La Motte Tilly. Si son goût personnel penche plus vers le « jardin à la française », il n’en reste pas moins un conteur intarissable, parcourant chaque jour ces allées de gravier. « Il faut bien comprendre que le jardin à l’anglaise a aussi été inventé pour que son propriétaire puisse voir évoluer et présenter à ses invités des essences rares ramenées d’Orient ou d’Amérique lors des grandes explorations », souligne-t-il.
Malheureusement à la Motte Tilly, une grande partie de ces arbres remarquables ont été balayés par la tempête de l’hiver 1999. « L’arboretum a souffert, mais cela nous a aussi donné l’idée de planter, très peu de temps après, un ‘tilletum’, une collection botanique composée de 70 essences différentes de tilleuls ». En cela, il s’agissait de rendre un hommage au tilia – le tilleul – probablement à l’origine du nom de La Motte Tilly, la « colline aux tilleuls », selon les mots de Jean-Marie Verfaillie.
Tout récemment, ce « tilletum » a été classé par l’État « collection nationale », ajoute le chef jardinier, une distinction rare et prestigieuse.
Côté « jardin à la française », en cour d’honneur et ailleurs, on compte près de 120 topiaires en if, sculptées deux fois par an à l’aide de gabarits en bois. « Cela permet d’exprimer tout le potentiel des végétaux, mais aussi de garder une constante absolue dans la perception que nous avons de ce paysage » », précise le jardinier en chef qui porte une attention particulière à cette opération de taille. « Les possibles épisodes caniculaires nous conduisent à être très prudents. La taille peut aussi être nocive et affaiblir le sujet si elle intervient au mauvais moment ».
Pour le « jardin à l’anglaise », il pratique une « gestion différenciée », qui n’a absolument rien à voir avec celle du jardin à la française. L’œil et l’instinct du jardinier priment. C’est à lui de choisir le bon moment pour la taille des arbustes, la tonte des pelouses.
« Le jardin à l’anglaise livre de vastes espaces découverts, des perspectives, mais aussi des endroits plus touffus, discrets, où l’on peut se perdre. C’est un jardin de promenade mais qui doit réserver à chaque instant une surprise à celui qui le visite ». C’est pourquoi, à La Motte Tilly comme ailleurs, il est agrémenté d’une grotte née de la main de l’homme, d’un vieux moulin… La découverte est à chaque détour. Elle l’est aussi dès que l’on se retrouve à l’arrière du château avec une vue plongeante sur le parc, son canal, son miroir d’eau et, plus loin, la Seine.
Un jardin « mixte » donc, l’endroit de la contemplation, de la découverte et de l’émotion.