En matière de vaisseau fantôme, il y a la légende et il y a la réalité. On classera l’histoire du Mary Celeste dans la deuxième catégorie. Le bateau a bien existé. Mais, en 1872, il fut retrouvé dérivant entre les Açores et le Portugal, vide de toute présence humaine, et sans que l’on ne sût jamais les causes de la disparition de l’équipage. De quoi entretenir la légende…

La définition classique d’un vaisseau fantôme en fait un navire hanté ou maudit, parfois l’apparition spectrale d’un bateau disparu. La légende prétend alors qu’il est appelé à errer éternellement sur les océans, en gardant prisonnières – pour faire bonne mesure – les âmes de ses marins.

Le plus fameux des vaisseaux fantômes est certainement le Hollandais volant, dont l’histoire, riche de plusieurs versions, a inspiré, entre autres, la littérature, la musique, le cinéma*.

Dans le genre, le cas du Mary Celeste ne manque pas d’originalité en ce sens qu’il est sans doute n°1 au hit-parade des vaisseaux fantômes… bien réels. En effet, ce brick-goélette, voilier à deux mâts de 30 mètres de long et de 198 tonneaux, fut construit en Nouvelle-Ecosse (Canada) en 1861. Initialement baptisé Amazon, il traversait l’Atlantique et la Méditerranée ou naviguait du côté des Antilles. Après plusieurs changements de propriétaires et quelques travaux d’aménagement, il devint le Mary Celeste

Le 7 novembre 1872, il quitte New York, direction Gênes (Italie), avec une cargaison d’alcool dénaturé. Benjamin Briggs, navigateur chevronné et copropriétaire du navire, en assure le capitanat. Outre un équipage de sept marins d’expérience soigneusement sélectionnés, l’épouse et la fille de Briggs, âgée de deux ans, font partie du voyage. Peu après son départ, le Mary Celeste est suivi par le Dei Gratia, commandé par le capitaine Morehouse, également en route pour l’Europe. Le 4 décembre, à 650 kilomètres à l’est des Açores, les hommes du Dei Gratia aperçoivent une embarcation à la dérive ne répondant à aucun de leurs signaux : c’est le Mary Celeste. Ils montent à bord du bateau, en bon état, mais n’y trouvent personne. La seule chaloupe du Mary Celeste a disparu. La dernière entrée sur le journal de bord date du 25 novembre, neuf jours plus tôt. Tout laisse à penser que le Mary Celeste a été abandonné dans la précipitation. Mais pourquoi ? 

Les marins du Dei Gratia ramèneront sans difficulté le Mary Celeste à Gibraltar. L’enquête diligentée pour connaître les causes de ce mystère examinera de nombreuses hypothèses, des plus plausibles (mais qui seront toutes infirmées) aux plus farfelues. Assassinat des Briggs par les marins mutinés (quoiqu’aux états de service irréprochables) du Mary Celeste ? Assassinat de tous les membres du Mary Celeste par ceux du Dei Gratia afin de toucher la récompense du navire ramené à bon port ? Dans un cas comme dans l’autre, aucune preuve de violence n’est démontrée. Arnaque à l’assurance (les deux capitaines se connaissaient bien et auraient pu s’entendre) ? Départ de feu laissant craindre un risque d’explosion en raison de l’alcool transporté (mais le navire n’a pas brûlé ni explosé) ? Tornade ? Séisme sous-marin ? Attaque d’une pieuvre géante, voire d’extra-terrestres ? Qu’est-ce qui a bien pu inciter le capitaine Briggs à monter avec son épouse, sa fille et ses hommes dans une petite chaloupe au milieu de l’océan ? 

En 1884, dans sa nouvelle Déposition de J. Habakuk Jephson, présentée comme le témoignage d’un survivant du Mary Celeste, Arthur Conan Doyle fit le récit aussi apocryphe que fictif du drame, évidement sans autre résultat que d’exciter l’imagination des lecteurs. 

Aucun membre du Mary Celeste n’ayant jamais été retrouvé, ni en mer ni sur terre, l’énigme demeure entière à ce jour, et sans doute pour toujours. D’ailleurs, tous les marins le savent : la mer ne révèle jamais ses secrets.

Il semble que ce soit dans l’ouvrage de l’anglais George Barrington, « A Voyage to Botany-Bay », publié en 1795, que figure pour la première fois une assez courte référence au « Flying Dutchman ». En 1843, « Der fliegende Holländer » – connu en français sous le titre « Le Vaisseau fantôme » – sera le quatrième opéra de Richard Wagner, dans lequel on retrouve les thèmes chers au compositeur : l’errance, l’arrivée d’un personnage inconnu, le sacrifice et la rédemption par l’amour. Et comment ne pas mentionner « Pandora », chef-d’œuvre cinématographique d’Albert Lewis (1951) avec Ava Gardner et James Mason, relecture grandiose et surréaliste du mythe.

Texte : Jacques Rivière