À Reims, la Maison des Musiciens a fait l’objet d’une restauration, puis d’une restitution de sa statutaire parmi les plus remarquables de l’Europe médiévale. Une aventure humaine associant passionnés et mécènes.
Septembre 1917. Le Front est bloqué depuis trois ans près de Reims. Les bombardements s’intensifient. Quelques 1600 obus s’abattent chaque jour sur la ville, détruisant au fil des semaines son centre historique. L’architecte des monuments historiques, Henri Deneux mobilise la troupe pour dé-socler de la façade de la Maison des Musiciens les cinq statues qui font sa renommée. Un peu plus d’un siècle plus tard, ce bâtiment emblématique de Reims, symbole de son passé disparu a fait sa réapparition rue du Tambour.
Restauration de La Maison des Musiciens : Un projet, une équipe
Il faut voir là l’aboutissement du lent et patient travail de l’association Renaissance de la Maison des Musiciens de Reims qui s’est donné pour mission de reconstruire la façade de cet édifice emblématique du Reims médiéval. La Maison Taittinger est propriétaire de la Demeure des Comtes de Champagne, qui jouxte la Maison des Musiciens et Pierre-Emmanuel Taittinger sait que, depuis toujours, sa famille souhaitait revoir un jour les musiciens sur cette façade de la rue du Tambour. « Depuis que notre maison a été fondée, en 1934, nous voulions redonner son lustre à la maison voisine. Ce projet, c’est d’ailleurs une promesse que j’ai faite à mon père avant son décès. » L‘association s’est constituée avec un « chef d’équipe », selon les mots de Pierre-Emmanuel Taittinger.
C’est Jacques Douadi, ancien vice-président du Conseil régional, qui prend la tête d’une équipe compacte et efficace. « Elle est composée d’amis, une quinzaine, reconnaît-il, chacun intervenant en raison de ses compétences. » Recherche de financements privés, expertise-comptable, conseil juridique, direction de travaux, les besoins sont nombreux. « Nous avons monté une sorte de commandos en cumulant nos savoir-faire individuels », sourit Jacques Douadi. À ceci s’ajoute une autre expertise, incroyablement importante, dans ce projet de restauration de la façade et de restitution de sa statuaire, celle du rémois Patrick Demouy, l’un des plus grands médiévistes français, à qui échoit le poste de vice-président d’une association rapidement reconnue d’utilité publique. En cela, elle se trouve alors en capacité de faire appel aux dons de mécènes privés pour mener à bien son projet. Il restait ensuite à convaincre les autorités – et notamment l’architecte des Bâtiments de France de l’époque, aujourd’hui directrice adjointe de la Direction régionale de la culture Grand Est, Virginie Thévenin – de la pertinence et de la faisabilité du projet. « Elle a été remarquable d’écoute et a fait le pari de ce projet original. La restitution de la statuaire, par exemple, n’est que très peu pratiquée en France. » Il s’agissait en effet d’installer cinq nouvelles statues, en tout point conformes aux originaux, sur un premier étage qui, bien que meurtri et modifié au fil des siècles, conservait son organisation du milieu du XIIIe siècle, date de son élévation. Quant au rez-de-chaussée, l’idée de l’architecte Frédéric Coqueret était de proposer un traitement contemporain, privilégiant la fluidité, la cohérence, en dégageant les arcatures préexistantes. À l’appui de cela, une très importante documentation réunie par Patrick Demouy et quelques autres, qui permettait de voir la façade en situation, telle qu’elle se présentait au milieu du XIXe siècle, sur la foi de gravures et dessins d’époque.
Une statuaire inédite
Il faut dire que le groupe de musiciens tient une place toute particulière dans la statuaire médiévale. Il est l’un des tout premiers en Europe, et peut-être même le premier, à proposer des personnages laïcs, déconnectés de toute volonté d’édification religieuse. « Des recherches ont été menées sur la lignée des propriétaires successifs de cette maison. Elle se rattache à des familles de drapiers, de riches marchands de textiles », assure Jacques Douadi. Quatre musiciens, jouant d’instruments d’époque (tambourin et flûte, chevrette, harpe et vièle) entourent un auditeur, un homme jeune, tenant à son bras un faucon. Sans doute un seigneur ou le riche propriétaire de cette maison. Une analyse du style des statues, et en particulier des visages des cinq personnages, les rattachent directement à celles de la cathédrale Notre-Dame de Reims, « connue pour l’expressivité des visages que les tailleurs de pierre ont su donner aux statues et qui en constitue l’une des grandes particularités. » L’ange au sourire et bien d’autres statues aux traits si expressifs en témoignent. Les tailleurs de pierre avaient sans doute trouvé là, à proximité du chantier principal, de quoi nourrir leurs ambitions artistiques… et leurs familles.
Des projets à venir
À l’initiative de cette aventure, la Maison Taittinger en est rapidement devenue le premier et principal mécène. Pierre-Emmanuel Taittinger a usé de son expérience du monde de l’entreprise pour agréger d’autres partenaires. « Comme j’aime à le dire, chacun apportait ici sa pierre à l’édifice et l’énergie de Pierre-Emmanuel nous a permis de trouver une oreille attentive auprès de grands mécènes français et étrangers », témoigne Jacques Douadi. C’est ainsi qu’outre le Champagne Taittinger, la Fondation Versailles & Giverny à New York (Etats-Unis), Hawesko Holding AG à Hambourg (Allemagne), les Fondations régionale et nationale du Crédit Agricole, et la Fondation du Patrimoine-Délégation régionale, se sont associés à ce projet. Sur 1,2 M€ de budget, ces entreprises et fondations ont collectivement apporté 1M€, le solde étant composé des apports des collectivités publiques (Etat-ministère de la Culture, Région Grand Est, Département de la Marne, Ville de Reims…). L’association Renaissance de la Maison des Musiciens entend bien ne pas s’arrêter en si bon chemin. En partenariat avec l’association des déficients visuels de la Marne, elle souhaite commander la fabrication de modèles réduits en résine de la statuaire, dans le but de permettre aux malvoyants de suivre du bout des doigts les formes laissées par le burin des maîtres tailleurs. Un ouvrage scientifique et historique pourrait également voir le jour pour témoigner de l’histoire de cette maison et du chantier entrepris au cours de ces dernières années. Et, en hommage à ces musiciens entrevus du lointain Moyen Âge et à leur mystérieux commanditaire, est également en projet un concert de musique médiévale pour les Flâneries 2023… À cœur vaillant, rien d’impossible. Ils l’ont déjà montré…