Génie littéraire au parcours erratique, Jacques Cazotte est l’auteur du « Diable amoureux », roman précurseur de la littérature fantastique dont nous fêtons cette année les 250 ans de la parution. L’occasion pour nous de revenir sur le récit de vie de celui qui fut pendant trente ans le propriétaire du château de la Marquetterie, à Pierry, en Champagne. 

De tous les propriétaires successifs de la Marquetterie – le château propriété de la Maison Taittinger depuis 1934 – Jacques Cazotte est sans doute le plus étonnant. Qui était-il vraiment d’ailleurs ? Les biographes des Lumières s’y sont essayés et un peu perdus aussi, tant l’homme a eu, non pas une vie, mais une succession de vies toutes aussi saisissantes les unes que les autres. Cazotte fut un auteur prolifique mais inconstant, un administrateur zélé des colonies et un royaliste exalté. 

Un auteur touche-à-tout

Né à Dijon, il écrit déjà dans sa prime jeunesse avant que son métier dans l’administration de la marine ne le conduise à la Martinique comme contrôleur des Îles du Vent. C’est en 1761, de retour de ce lointain séjour que le Bourguignon s’établit en Champagne. Il a hérité du château de Pierry – l’actuelle Marquetterie – et de son vignoble, près d’Épernay. Il s’y retire pour se consacrer à l’écriture, tout en se faisant négociant en vins de Champagne. Dans le domaine littéraire – et c’est là qu’il est le plus surprenant –, Cazotte s’essaie à tout. Il publie L’Aventure du pèlerin, un court apologue dénonçant l’hypocrisie de la cour, puis en 1772 Le Diable amoureux, qui lui vaut d’être considéré par les spécialistes comme l’un des pionniers de la littérature fantastique française. Par défi, un homme y convoque le diable, qui lui apparaît sous la forme d’une ravissante jeune fille. Il en tombe amoureux et est pris à son propre piège. Dans ses thèmes, dans sa liberté de ton, on pourrait le croire proche des Lumières et des philosophes, mais en publiant Voltairiade, il les critique vertement. Il poursuit ses tentatives dans tous les styles littéraires, écrit le livret d’un opéra-comique (Les Sabots), publie de la poésie, des fables à la manière de La Fontaine, des contes d’inspiration orientale ou parodiques… 

Mystique et proscrit

Au tout début de la Révolution, il devient le premier et éphémère maire de Pierry. Royaliste convaincu, fidèle à Louis XVI, il espère même une contre-révolution. Il faut dire qu’il a aussi sombré à cette époque dans un profond mysticisme, un courant philosophique, initiatique et ésotérique dérivé de la franc-maçonnerie, dans lequel il professe une piété exaltée et dépeint la Révolution comme Satan. Arrêté en août 1792, il manque de mourir lors des Journées de septembre lorsque tous les prisonniers sont passés par les armes sans autre forme de procès. C’est sa fille qui le sauve en le couvrant de son corps. Il s’enfuit mais est à nouveau arrêté quinze jours plus tard. Il finit sur l’échafaud. Ses prises de position contre les Lumières et contre les Jacobins lui coûtèrent la vie sous la Terreur. « Je meurs comme j’ai vécu, fidèle à mon Dieu et à mon Roi », déclame Cazotte sur l’échafaud, quelques secondes avant que ne s’abatte le couperet de la guillotine. Cazotte restera, pour partie, un mystère.

Texte : Cyrille Jouanno