Gérard Rondeau a sillonné la planète et la France entière. En Champagne, à New York ou Sarajevo, il développe toute une palette d’émotions, mais toujours en noir et blanc. Son regard se posera autant sur les stars de son époque que sur des passants du bord de la Marne, mais son cœur restera lui, du côté de Reims où l’attend la cathédrale. Portait d’un photographe aux milles rencontres.

Changer de vie comme on arme son appareil photo, en un claquement de pouce. C’est aussi spontanément que Gérard Rondeau exécuta le tournant à 360°. Alors qu’il travaille dans les années 1970 en tant que directeur de l’Alliance française de Colombo, au Sri Lanka, il découvre un livre d’Henri-Cartier-Bresson. À propos de l’URSS l’attend parmi les ouvrages de la bibliothèque de l’ambassade. C’est une révélation. Il quitte son poste et ses fonctions pour devenir photographe. Seul, il amorce son apprentissage en autodidacte. Cette rencontre décisive avec sa passion sera à l’image de sa carrière, sensible et entière. Né le 10 avril 1953, en Champagne à Châlons-sur-Marne, il grandit avec des parents instituteurs et son grand frère Daniel, futur écrivain et diplomate. Alors qu’il se dirigeait vers des études d’histoire, il interrompt son parcours pour être professeur. C’est pour son service militaire qu’il va devoir se rendre au Sri Lanka, de 1974 à 1976, où il deviendra par la suite lecteur à l’université de Peradeniya avant de prendre la tête de l’Alliance française de Colombo. Une fois sa vocation trouvée comme photographe, il retourne en France faire ses armes, équipé d’un Leica.

L’amitié au bout de l’objectif
Le monde photosensible de Gérard Rondeau est dépeint en noir et blanc. Il y jette un regard parfois plein de malice, quand il se retrouve entre des statues, flânant dans les coulisses d’un musée. D’autres fois, ce regard est bien plus solennel et méditatif lorsqu’il suit les pas de la Grande Guerre ou couvre les événements de 94 à Sarajevo, mais aussi complice au moment de pénétrer l’intimité d’une célébrité, pour en dresser le portait. Cette dernière activité lui valut de faire maintes rencontres au fil des ans, dont certaines sont devenues de franches amitiés. Fasciné par les artistes, il fut notamment très proche du peintre Paul Rebeyrolle et prendra avec lui la casquette de cinéaste. De 1994 à 1999 Gérard Rondeau capte les étapes de création dans son l’atelier, chose exceptionnelle pour l’artiste qui accepte pour la première fois d’y être filmé. Aux côtés du romancier Yves Gibeau il se lancera sur les routes de la Première Guerre mondiale, et remontera la Marne dans un bateau-studio auprès du journaliste Jean-Paul Kauffmann, s’arrêtant au fil de son odyssée pour convier les passants à bord et les immortaliser en photo.

Les portraits dans la peau
Parmi ses amis, on comptera aussi Philippe Dagen, journaliste au Monde pour lequel Gérald Rondeau réalisa ses plus célèbres portraits dans les années 90. Lors de leur première entrevue, le photographe présenta un de ses instantanés. Le pas d’une femme, de dos, se dessine, son pied gauche à moitié invisible, porté par son élan. Mélangeant l’aspect velouté de sa tenue, la maille de son collant couture et d’une moquette aux motifs géométriques, le rythme est cadencé. Devant elle, la salle du restaurant, dont le nom est devenu celui du cliché (Le Cirque, à New York en 1988), s’ouvre sur des tables se préparant à la frénésie du service et des dîners mondains.

Cette photographie résonne ainsi comme une miniature de l’œuvre de Gérard Rondeau, un condensé de son travail et de ce vers quoi il tend. Il multipliera par la suite quantité de portraits de personnalités tout au long des années 90 et après. Jean-Paul Gaultier, Alain Bashung, Anna Mouglalis, Keith Haring, Louise Bourgeois, Cabu, Jacques Derrida, Paul Bowles… Autant de profils et d’univers différents, passés devant son objectif.

Toujours attaché à sa Champagne natale, elle restera une source d’inspiration constante pour lui. Lors de son pèlerinage sur le Chemin des Dames avec Yves Gibeau ou sur la Marne avec Jean-Paul Kauffmann, mais pas uniquement. Gérard Rondeau dressera le portrait à sa mesure de la cathédrale de Reims, fidèle amie qui l’accompagna durant plusieurs années lorsqu’il habitait encore la ville, place Royale, et qu’il se levait chaque matin en lui lançant un regard. Face aux gargouilles, le photographe compose un bestiaire de la cathédrale, les faisant poser tels les protagonistes d’une représentation théâtrale, ou d’une grande famille. Une personnification qui n’est pas sans rappeler ses virées dans les couloirs des musées. Il cultivera ce lien indélébile jusqu’à sa mort, le 13 septembre 2016 à l’âge de 63 ans.

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Texte : Marie-Charlotte Burat