Ce passionné d’art contemporain cultive sa différence en se donnant corps et âme pour que de jeunes artistes puissent s’exprimer et gagner en visibilité.
Qui n’a jamais été collectionneur ? Passionné par un thème, un objet, une histoire ? Tout un chacun en a déjà fait l’expérience et, pour Frédéric Lorin, dans ses souvenirs les plus lointains, il est question de timbres postes, de transmission entre lui, enfant et son grand-père. Plus tard, bien plus tard, au gré de voyages, il découvre le Laos, la Birmanie, le Cambodge, dont il aime « la culture, la gastronomie et tellement d’autres choses ». Parmi-celles-ci, il y a ces petits Bouddhas anciens, du 17e au 19e siècle, dont il tombe « littéralement amoureux ». En albâtre, en bois, en marbre, ils sont l’objet de sa première collection. « Ils sont magnifiques et témoignent d’une telle plénitude », explique celui qui en croise aujourd’hui encore, dans des galeries d’art et affirme ressentir à chaque fois « de petits picotements dans le ventre ». La passion est toujours là. Mais elle s’est déplacée sur un autre champ. Ici aussi, c’est une affaire de coups de cœur, et même plutôt d’« amour », pour reprendre le mot de Frédéric Lorin.
Un jour, dans une foire d’art contemporain, il découvre un pliage de l’artiste André-Pierre Arnal. « Un flash », se souvient-il. Il l’achète, ce sera là le tout début d’une collection qu’il n’a, depuis, cessé de faire grandir. Il s’intéresse alors, selon ses goûts et des œuvres qui retiennent son regard, à la peinture, à la sculpture, puis à la photographie. Et trouve là ce qui lui manquait dans la collection des Bouddhas anciens. « Je ne m’en rendais pas compte, mais le contact avec l’artiste me faisait défaut. Là, dans l’art contemporain, j’allais pouvoir côtoyer des artistes vivants, dialoguer avec eux. Alors, j’ai basculé ». Il se jette donc avec bonheur dans ces élans du cœur, ces rencontres qui le mènent, autour d’une œuvre qui a su l’interpeller, vont ouvrir à un dialogue avec l’artiste qui l’a pensée, construite. « J’aime quand un artiste essaye de nous faire passer un message. Quand une œuvre est traversée par un sens, cela m’intéresse ».
Frédéric Lorin s’attache à découvrir le travail de jeunes artistes. Pour lui, il ne s’agit pas seulement d’acheter une œuvre, même s’il le fait par goût et pour soutenir les artistes, mais d’une occasion de partage. L’homme, qui travaille dans la finance, aime dialoguer, mais aussi accompagner un artiste dans ses projets, le voir avancer, progresser sur un temps long. « Ma démarche, c’est tout sauf un one shot », assure-il. Il aime s’engager, discuter des enjeux d’un projet, « rassurer des artistes parfois paralysés par le doute », faire un brainstorming avec l’artiste, mobiliser ses réseaux pour trouver une solution technique ou un professionnel qui lui permettra d’aller au bout de ses idées.
Le collectionneur n’hésite pas non plus à donner de sa personne, lors du montage de certaines expositions, comme lors des deux « Nuits blanches » de la photographe plasticienne Sandra Matamoros, en 2021 et 2023. Il aime aussi discuter de technique avec les photographes qui cherchent aujourd’hui à imprimer sur le verre, la tôle ou la céramique, qui vont renouer avec des techniques anciennes comme celle du cyanotype. « C’est un secteur en pleine évolution, c’est passionnant. Là aussi, j’essaie d’aider les artistes, parfois désemparés, à trouver des solutions techniques à leur recherche ». L’année 2020 est marquée par la crise sanitaire, les confinements et l’impossibilité, pour Frédéric Lorin, de poursuivre ces rencontres et ces échanges qu’il a tant à cœur de faire perdurer. « Je travaille dans un établissement bancaire et j’avais la chance d’avoir une paie à la fin du mois, même si j’étais confiné chez moi. Pour les artistes, sans possibilité de rendre visible leur recherche, la situation était simple. Ils n’avaient plus ni projets, ni revenus ».
Alors, le collectionneur joint au téléphone des amis, puis des amis d’amis, dans le but de rassembler des fonds pour monter une exposition – bien réelle celle-ci – pour offrir cette visibilité qui fait défaut aux artistes dès qu’il sera de nouveau possible de fréquenter les lieux de monstration de leur travail. Il trouve un lieu, réunit des moyens et crée CulturFoundry, une association dont l’unique but est de monter une exposition annuelle, et surtout pas de générer du profit. « Tous les moyens vont aux artistes puisqu’ils sont investis dans les expositions que nous leur consacrons. Nous ne vendons pas leurs œuvres, ce sont eux qui les vendent et nous ne prenons aucune commission ». Une trentaine de personnes, physiques et morales, sont réunies chaque année autour de Frédéric Lorin au sein de CulturFoundry.
Ce positionnement associatif, qui diffère de celui d’une galerie car l’extrait de la nécessaire rentabilité, lui offre surtout une grande liberté. « Nous n’avions pas besoin de présenter des artistes bankables, alors, nous faisons le pari intégral de la découverte et des jeunes, avant qu’ils ne soient représentés par une galerie ». L’aventure est collective. Après avoir choisi une thématique, Frédéric Lorin réunit des propositions d’artistes à exposer, les siennes et celles des amis qui l’accompagnent dans CulturFoundry, avant de les partager avec le ou la commissaire de l’exposition, qui aura aussi quelques idées. Il travaille déjà sur la prochaine, qui trouvera place en mars 2025 au Centre Wallonie-Bruxelles, tout près du Centre Pompidou, et sera conçue autour d’artistes mentorées par les Amis du Musée de Washington (NMWA), pour les artistes femmes.
Frédéric Lorin fait feu de tout bois pour sa passion. Il organise des « deep dive » – c’est à dire des « plongeons » –, sur le modèle de ce qui se pratique dans le monde de la finance, au cours desquels des artistes sont invités à présenter leurs recherches. Des œuvres sont achetées ou pré-achetées par ceux qui les fréquentent et permettent ainsi aux artistes de financer l’exposition à venir. Il présente également des artistes qu’il aime, comme la photographe d’origine roumaine installée en France Dana Cojbuc, sur la foire unRepresented, dédiée aux collectionneurs. Il est intarissable sur ces dernières découvertes, mais aussi sur les projets d’artistes qu’il suit de longue date. Tout sauf un one shot, en effet. Il s’emballe pour la recherche de Quentin Germain, un jeune artiste des ateliers Poush, qui travaille la tôle, se joue de la rouille, et immergera bientôt certaines de ses œuvres au large de Belle-Île. Une autre invitation au dialogue et au partage. Le rêve d’un collectionneur atypique.