Et si on jouait à être un autre que soi-même ? Et si on faisait la fête ? Et si on faisait les fous ? C’est un peu l’alphabet du Carnaval de Venise, la convention tacite sur laquelle se fonde cette joyeuse sarabande de masques et de travestissements qui fait palpiter la ville et donne l’illusion d’échapper au temps. 

Combien sont-ils en ce mois de février à parader dans les ruelles, à défiler sur les canaux, à courir les palazzi et les théâtres, avec pour signes de reconnaissance un masque sur le visage et un costume extravagant ? Des centaines de milliers, cédant à la tentation de vivre pendant quelques jours, juste avant mercredi des Cendres, une fantasmagorie qui ne s’use pas avec les ans. La tradition qu’ils perpétuent ainsi est vieille de mille ans. 

Toutes les transgressions

Ce qui a débuté au XIe siècle comme un aimable relâchement lié au calendrier chrétien, a évolué au XVIIe siècle en un mouvement débordant le cadre du carnaval pour offrir aux Vénitiens un moment d’anonymat et de liberté prolongé. La haute société et le petit peuple se confondaient sous la trompeuse apparence des masques (blancs) et des corps cachés (sous un habit noir) qui autorisait tous les brassages et toutes les transgressions, en toute impunité.

Prenant des couleurs, la mascarade culminera au XVIIIe… et disparaîtra au XIXe siècle, les autorités décidant d’y mettre le holà au « tous égaux » et au « tout est permis ». 

Carnaval de Venise Ca'Macana

Les masques du Carnaval de Venise : un savoir-faire ancestral

Ce n’est que dans les années 1980 que le Carnaval est rétabli dans sa magnificence, ouvrant Venise à un tourisme festif qui a le grand mérite de garder vivant un savoir-faire ancestral : la fabrication des masques.

Au sein de l’atelier Ca’Macana, l’un des plus anciens et des plus renommés de la ville, une vingtaine de personnes s’y emploient, à la fois gens d’expérience et frais émoulus de l’Académie des Beaux-Arts. Les outils et les matériaux dont ils ont besoin : « Beaucoup de passion et beaucoup de patience ! », biaise en riant Nancy, présente dans la maison depuis 24 ans. 

Étape essentielle : la décoration

« Tout commence par la réalisation d’une sculpture en argile sur laquelle est coulé du plâtre pour obtenir le négatif où l’on met le papier mâché, un genre de papier buvard avec des fibres de laine, imbibé d’eau et de colle. Après séchage (compter de deux jours à une semaine), il est poncé et lissé avec du papier de verre et de la colle puis peint en blanc. On y découpe les yeux et les bords si nécessaire. »

Vient ensuite l’étape essentielle et différenciante : la décoration. « On pose au pinceau les couleurs acryliques qu’on fixe avec du vernis ou de la cire (pour un effet mat). Pour finir, on place les accessoires : feuille d’or, tissus, plumes, cristaux Swarovski… » 

Carnaval de Venise Ca'Macana

Des milliers de combinaisons

Ce travail d’orfèvre donne naissance à des pièces uniques et signées où s’exprime la fantaisie sans limite des créateurs (une interprétation du Cri de Munch, par exemple), mais aussi à une foule de masques bigarrés, inspirés des grandes figures de la commedia dell’arte (Pantalone, Arlecchino, Colombine, Capitano au long nez, Pulcinella…,) et de la pure tradition vénitienne (Bauta, Volto, Docteur de la Peste…), chacun racontant une histoire.

« Les modèles de base sont toujours les mêmes, explique Nancy. C’est le type de décoration qui varie. Il y a au moins un millier de combinaisons de couleurs et de décors possibles ! » Classiques, à carreaux, cachemire, velours, lune, paon, rococo, joker, cygne, arabesque, Pierrot, craquelé, effet larmes ou patiné… 

Carnaval de Venise Ca'Macana

Eyes Wide Shut

Les plus demandés ? « Les loups, parce qu’on peut les porter ou les accrocher au mur. » Les clients ? « Des étrangers, venant principalement de France, d’Europe et d’Amérique du nord, et beaucoup d’Italiens qui achètent pour décorer leur maison ou pour des fêtes privées. »

La mode et le cinéma également : on retrouve dans Cinquante Nuances plus sombres ou Eyes Wide Shut les modèles faits main de l’atelier Ca’Macana. Mais avant tout autre utilisation, le masque reste l’attribut n°1 du carnaval, celui derrière lequel le carnavalier oublie qui il est pour devenir un autre dans une Venise en fête.

Carnaval de Venise Ca'Macana
>> Découvrez le travail de Ca’Macana sur www.camacana.com / @camacana

Texte : Catherine Rivière
Photos : Atelier et créations Ca’Macana © Ca’Macana