« On doit tous quelque chose à André Kertész » disait Henri-Cartier Bresson de celui qu’il considérait comme son maître. Figure majeure de l’histoire de la photographie du XXème siècle, André Kertész (1894-1985) est l’un des premiers photographes professionnels à innover dans la prise de vue.
André Kertész achète son premier appareil photo à 19 ans et commence à photographier sans aucune formation. Pourtant ce jeune hongrois, destiné à une carrière de financier sera l’auteur de la fourchette la plus célèbre de l’histoire et d’une importante collection de clichés en noir et blanc tantôt absurdes et poétiques, tantôt empreints de spontanéité et de mélancolie.
Mobilisé sur le front durant la Première Guerre mondiale, il réalise des clichés de scènes anodines : un soldat en prière, un autre jouant avec un chiot… Il s’agit davantage d’un journal intime plutôt que d’images sensationnalistes, présentant une perspective unique de la guerre. À son retour, le succès de ses clichés le convainc de faire de la photo son métier ; faisant de son appareil son compagnon de route et de son œuvre le témoin sensible et créatif de sa vie.
Il tire la plupart de ses photos en petit format (9x14cm) comme il est courant durant la guerre : les photos du front étaient éditées sous forme de cartes postales pour collecter de l’argent pour les veuves et orphelins. Ce format accentue le résultat très intimiste de sa démarche artistique.
La ville, et particulièrement Paris, est son premier terrain d’expression. Il découvre la capitale française en 1925 où il rencontre les personnalités de l’avant-garde artistique. Il commence à photographier ses amis, les ateliers d’artistes, les scènes de rue et sublime la modestie du quotidien. Il observe la ville et explore les innombrables possibilités du langage photographique moderne, s’inspirant des débats sur l’abstraction.
« Mon anglais est mauvais. Mon français est mauvais. La photographie est ma seule langue » dit-il.
André Kertész, un langage personnel
L’une de ses premières commandes vient de l’éditeur du magazine de charme, Le Sourire : des corps étirés par des miroirs déformants, révélant des allures merveilleuses ou monstrueuses. Il développe une certaine obsession pour la distorsion et les jeux d’ombres. Ses étonnantes distorsions de nus féminins ainsi que ses natures mortes, d’une extrême modernité, lui ont longtemps valu d’être associé aux surréalistes. Pourtant André Kertész ne souhaite s’identifier à aucun courant artistique : « Ma photographie est vraiment un journal intime visuel (…). C’est un outil, pour donner une expression à ma vie, pour décrire ma vie, tout comme des poètes ou des écrivains décrivent les expériences qu’ils ont vécues. »

L’Histoire, la grande, ne l’intéresse pas. Ses images saisissent des souvenirs intimes, comme extraites d’albums de famille. Ce « photographe poète », selon l’écrivain Pierre Mac Orlan, exprime son imaginaire au travers de parcelles choisies de la réalité. Une démarche peut-être issue de cet échange avec une certaine gypsie qui souhaitait un portrait pour son fiancé : « Vous me prendrez quand seulement mes yeux souriront ». « Cette fille ordinaire m’a appris que le commencement du sourire est le plus beau, parce que c’est une promesse. Vous ne savez pas combien de fois j’ai utilisé ça, pour les magazines les plus huppés » confie l’artiste quelques années plus tard.
Le photojournalisme lui doit beaucoup. André Kertész s’est essayé à toutes les techniques, et a fortement contribué à la popularisation du petit format. André Kertész est l’un des premiers acquéreurs du célèbre boîtier Leica qui participe à l’émergence du photoreportage. Il est rapidement recruté par le premier grand magazine illustré, VU, dont il illustre près de 150 articles. André Kertész crée pour « donner à penser » la réalité, via des images insolites, ce qui précisément déplait aux rédactions américaines qui diront de ses photos « qu’elles parlent trop ».
À son arrivée à New York, son travail est incompris et l’artiste partage sa mélancolie (Nuage égaré, photographie de 1937). Le monde des humains devient fantomatique. Les piétons sont réduits à des silhouettes noires et André Kertész préfère les portraits de chiens et de pigeons. Depuis sa terrasse au 12e étage, il use d’un téléobjectif et étudie attentivement les lignes et horizons. Il brouille les repères, casse les perspectives et attend l’arrivée des passants pour capturer l’instant.
Il faudra attendre les années 60 pour qu’André Kertész se consacre à nouveau à la photographie avec plaisir et pour que son travail connaisse un certain renouveau à travers l’usage du Polaroid. Il lègue finalement la plupart de ses négatifs au pays qui a inspiré la période la plus prolifique de sa vie : La France.
