Jusqu’au 4 juin, à l’Espace Niemeyer, une très belle rétrospective est consacrée à Alfred Courmes. Figure complexe de la peinture du XXe siècle ayant peu connu les honneurs, il sut toujours s’affranchir des courants.
C’est avec un regard neuf, libéré des préjugés de son époque, qu’il nous est aujourd’hui proposé de relire son œuvre.

Dans l’Est parisien, la place du Colonel Fabien abrite l’un des bâtiments les plus remarquables de la capitale : le siège du Parti communiste français, œuvre magistrale de l’architecte brésilien Oscar Niemeyer, achevée en 1971. C’est en son sein, dans l’Espace Niemeyer, que se poursuit jusqu’au 4 juin la rétrospective consacrée au peintre Alfred Courmes. 

Décédé voici 30 ans, à l’âge de 95 ans, il aura traversé tout le XXe siècle. L’homme est inclassable. Dans un siècle marqué par les courants et les mouvements artistiques plus ou moins organisés, tous rivaux, Courmes n’a jamais été d’aucun d’entre eux. « Courmes est un artiste singulier et iconoclaste, souligne Pierre-Emmanuel Taittinger. Il témoigne d’un savoir-faire extraordinaire dans toute son œuvre. » Elle reste sans cesse à réhabiliter, c’est ce que s’emploie à faire la présente exposition. 

« À l’image de Clovis Trouille, son ami, Alfred Courmes est proche du surréalisme, mais sans y arrimer toute sa peinture. Il se joue des codes, universels ou plus contemporains. Il détourne les représentations mythologiques ou religieuses, mais aussi la publicité. En cela, on peut considérer qu’il est l’un des précurseurs du pop art, voire le fondateur de ce courant, sans le vouloir ni le savoir. » Grand amateur d’art, l’ancien président de la Maison Taittinger parle d’un « peintre raffiné, dans l’œuvre duquel on peut retrouver des références aux classiques de la peinture flamande ou italienne ». « Sa peinture est flamboyante et somptueuse. C’est une synthèse de la peinture européenne, mais avec une singularité toute française, parce qu’elle est aussi libre, et irrévérencieuse que provocatrice. » Avec humour et tendresse, Courmes ne renonce pas à déranger comme lorsqu’il choisit la fillette reconnaissable de tous dans les publicités du chocolat Menier pour son Saint Sébastien (45% de B.A., 1961), acquit par Coluche. L’ironie affleure dans ce tableau en forme d’étiquette de boîte de camembert. L’auteur y appose le logo d’un « Syndicat de la bonne peinture réaliste ». Dans d’autres œuvres, l’enfant Jésus prend les traits du bébé Cadum, et, l’archange Gabriel, ceux du bonhomme Bibendum. 

Non, non et non elle ne tolérera jamais qu’il fasse l’aéroplane, 1964. Collection particulière ©D.R.

Courmes s’essaiera à tout, du néo-cubisme au post-impressionnisme, sans jamais s’affilier à un quelconque courant. « Je crois qu’il était avant tout très indépendant, avance Pierre-Emmanuel Taittinger. Son œuvre est traversée par son humour. On peut imaginer Courmes comme un artiste chaleureux et jovial, un homme fin et cultivé, qui répondait avec humour aux grandes questions et aux drames de son époque. »

Courmes était un peintre d’histoire sociale, il était par ailleurs engagé dans l’association « Travail et Culture », aux côtés de René Huyghe, Germain Bazin, Pablo Picasso ou encore Fernand Léger. Il livre dans certains de ses tableaux un regard sur le monde ouvrier : corps usés par le travail, femmes ridées, silhouettes vieillies et épuisées des marins d’Ostende… L’ensemble témoigne d’une œuvre singulière et protéiforme, sur laquelle il est encore aujourd’hui difficile de d’apposer une étiquette. « Pour moi, son œuvre reste très actuelle. Comme nous tous, aujourd’hui, Alfred Courmes tenait farouchement à son indépendance. Il s’affranchissait de toute forme de catégorisation. »

La rétrospective présentée sur les 700 m2 de l’espace Niemeyer rassemble des tableaux de la longue période d’activité du peintre, mais aussi des dessins, des esquisses, toutes œuvres appartenant aux plus grandes institutions culturelles françaises (le Centre Pompidou – Musée national d’art moderne, le Musée d’art moderne de Paris, La Piscine à Roubaix…) et pour nombre d’entre elles jamais ou rarement exposées.

La rétrospective coréalisée par la Ville de Charleville-Mézières sera à découvrir en fin d’année dans la cité carolomacérienne, au Musée de l’Ardenne et à la Maison des Ailleurs, du 7 octobre 2023 au 7 janvier 2024.

Alfred Courmes dans son appartement de la rue des Écluses-Saint-Martin, photographié par Robert Doisneau en 1972 © Robert Doisneau / Gamma Rapho.
Alfred Courmes, La Rétrospective
à l’Espace Niemeyer
2 place du Colonel Fabien
75019 Paris
espace-niemeyer.fr

Texte : Cyrille Jouanno
Image de une : La Pneumatique Salutation angélique, le connaisseur et l’amateur voudront bien remarquer que l’Ange lui balance un lis, étudié et dessiné avec un soin particulier. Merci. L’important c’est le lis, 1968. La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent de Roubaix. Dépôt du FNAC. Inv. FR-1986-10-1 ©D.R.