À l’occasion du Prix international de cuisine d’auteur ‘Le Taittinger’, plusieurs étudiants de l’ESAD ont pu mener une recherche autour des deux produits phares du concours 2024 : le homard et le lieu jaune. 

Parmi les écoles d’art, celle de Reims, l’ESAD (École supérieure d’art et de design), fut l’une des premières à s’intéresser au design culinaire – c’était il y a une vingtaine d’années. Au point même de créer en son sein une section unique « Design & Culinaire » que coordonne aujourd’hui Germain Bourré, lui-même designer culinaire.

Le partenariat qui unit l’ESAD à la Maison Taittinger, et plus particulièrement au Prix culinaire international Taittinger, a quelques années d’existence mais a pris une nouvelle ampleur tout récemment. « Pour l’essentiel, cela nous engage à conduire une réflexion sur les produits que les chefs-candidats travaillent l’année du concours, afin de partager avec eux les regards de jeunes plasticiens et designers sur ces mêmes produits », explique Germain Bourré. En l’occurrence, cette année, c’est autour du homard et du lieu jaune – thème de la dernière édition du Prix Taittinger – que les étudiants inscrits dans la section « Design & Culinaire » du master de l’ESAD ont été invités à travailler. Un parcours qui a débuté en septembre 2023 lors d’un voyage pédagogique autour du port de Boulogne-sur-Mer. « Nous sommes allés à la criée, nous avons aussi accompagné des pêcheurs, travaillé sur ces espèces, leur habitat, leur place dans l’écosystème marin, la mise en place des quotas de pêche… ».

Projet de Delphine Daumerie mettant en avant la dualité du changement d’état du homard passant de l’animal vivant (alors bleu) au produit alimentaire (devenu rouge suite à la cuisson). Ici, contenants et contenus accentuent ces aspects, on passe progressivement d’un environnement organique à un autre, neutre et aseptisé. © DR

Dix projets d’étudiants sont nés de cette réflexion partagée tout au long de leur semaine à Boulogne-sur-Mer. Chaque produit a fait l’objet d’une libre recherche en design, sans cahier des charges trop contraignant. Des plats ont été réalisés, finement cuisinés, avec l’accompagnement sur les techniques de cuisson de Georges Ribeiro, chef et responsable de la cuisine pédagogique de l’ESAD.

« J’ai remarqué qu’il y avait chez les chefs du concours une vraie curiosité pour ces propositions qui sortaient de leurs pratiques habituelles, souligne Germain Bourré. Ils se sont vraiment intéressés au processus de création de chacun, au regard qui était porté sur le produit et à la manière dont les étudiants s’en étaient emparés ». Là, la technique culinaire « est un outil, pas une finalité », dans une recherche qui vise « à l’émotion, à la réflexion aussi ».

Rencontre entre les étudiants de l’ESAD et les candidats du Prix Taittinger, lors de laquelle les étudiants ont pu exposer leur projets inspirés du thème du Prix. © Gildas Boclé

Sensibilisés depuis leur plus jeune âge à la problématique écologique, les étudiants du master de l’ESAD ont conscientisé la préservation des ressources halieutiques depuis bien longtemps. La proposition de Jean-Baptiste Walbecq évoque la quasi-absence du lieu jaune, menacé par la surpêche et du réchauffement des océans. Là, par exemple, un mince filet de lieu jaune « augmenté de purée de chou-fleur sous un voile de navets » vient disparaître au contact d’un bouillon. L’image est forte, l’interaction entre le bouillon et le filet ouvre une réflexion sur la disparition potentielle de l’espèce.

D’autres propositions ont une dimension presque architecturale, poétique. Toutes sont singulières. Lisa Marie Schmid se sert de la nageoire du lieu jaune comme une cuillère, tandis que Justine Larue livre avec le homard son interprétation du rituel, de l’hommage et de la célébration. Naïs Jacomen partage quant à elle toute une recherche autour du homard dans l’histoire de l’art. « Cette génération n’est plus celle des lanceurs d’alerte, elle a déjà intégré le réchauffement climatique, aujourd’hui engagé et inéluctable, et ses conséquences, poursuit Germain Bourré. Pour autant, je les vois tous en quête de solutions et cela traverse fortement leur travail. C’est passionnant, très vivant et parfois leurs approches sont plus légères et poétiques qu’on ne pourrait l’imaginer dans ce contexte. »

 Dans le cadre de ce même partenariat avec la Maison Taittinger, les étudiants ont pu « découvrir les techniques de la vinification et être initiés, également, aux accords possibles entre mets et vins, et surtout côtoyer à l’occasion du Prix Taittinger la haute gastronomie française. C’est pour eux une chance assez exceptionnelle », témoigne Germain Bourré, qui se félicite du dialogue ainsi ouvert entre les étudiants et les équipes de Taittinger. Une initiative qui mérite d’être reproduite.

Projet de Lisa Marie Schmid. L’étudiante a réalisé des outils inspirés de la forme des nageoires du lieu jaune qui s’utilisent comme des cuillères et des pinceaux, établissant un lien entre vie terrestre et aquatique. © DR
Texte : Cyrille Jouanno