Alexandre Ponnavoy est le chef de caves de la Maison Taittinger. Natif de bourgogne, ce petit-fils et fils d’agriculteur a étudié l’agronomie et la physiologie végétale à Dijon avant de se plonger corps et âme dans l’univers du champagne. Diplôme d’œnologie en poche, il commence par sillonner le monde des vins effervescents en Californie et en Afrique du Sud puis intègre la Station Œnotechnique de Champagne où il distille ses bons conseils pendant plus de dix ans. À la tête de la cuverie installée en périphérie de Reims, il est depuis 2018 le chef d’orchestre des vins Taittinger.
Genèse
La ferme familiale où j’ai grandi s’est spécialisée dans la production de fruits et j’ai très vite été passionné par les notions de transformation et de commercialisation du produit. Quand je suis venu à Reims passer mon DNO (Diplôme National d’œnologue), j’ai été pris d’une passion immédiate pour ce monde aux multiples facettes de l’appellation Champagne. De la vigne au vin, cela constituait une alchimie qui cochait beaucoup de cases dans la liste de ce que je recherchais professionnellement. Puis tout s’est enchaîné assez vite : des voyages qui m’ont donné une vision transversale du monde de l’effervescent, ces dix ans d’œnologie conseil principalement basé dans l’Aube puis en 2015 ce premier contact avec la Maison Taittinger qui cherchait un successeur à son emblématique chef de cave Loïc Dupont, proche de la retraite après 34 ans de bons services.
Transmission
Je suis un homme très fidèle. Étant approché par Taittinger, je savais que cette relation allait se construire pour très longtemps. Il m’a fallu réfléchir bien sûr, mais je me suis tout de suite parfaitement entendu avec Loïc. Trois ans de tuilage, trois années de transmission avec de multiples cessions d’assemblages et de dégustations pour prendre la mesure de ce patrimoine. Et puis la finalisation de la nouvelle cuverie. Trois ans de très bons souvenirs à confronter nos idées et nos envies sachant qu’œnologiquement parlant nous étions proches. Quand j’ai commencé à déguster les cuvées, je me suis reconnu immédiatement dans le style Taittinger, j’ai senti que cela me faisait vibrer et j’y ai retrouvé mes valeurs et mes goûts. Les chardonnays de la Côte des Blancs, du Vitryat et du Sézannais pour la tension et la minéralité ; les pinots noirs de la Montagne de Reims qui apportent la profondeur ; et les pinots noirs de l’Aube pour le croquant et le fruité. Un style basé sur l’élégance, la finesse, la pureté, tout en ayant un fond de vin charnu et charnel qui permet d’avoir un fort potentiel de garde. Un mariage simple et heureux en somme.
Mission
En prenant les clés de la cuverie, je suis devenu le garant du style Taittinger. Je me dois de le perpétuer, c’est le socle et le capital sur lesquels la Maison et la famille Taittinger sont enracinées. Bien sûr avec le temps il y aura des petites touches personnelles, ne serait-ce que pour s’adapter aux évolutions avec toujours l’obligation de ne jamais perdre notre âme. La nouvelle cuverie est très emblématique à ce propos : dans ce bâtiment très technologique, nous avons gardé beaucoup des anciennes cuves avec leurs flores microbiennes qui marquent spécifiquement nos vins. La modernité au service de la tradition.
Quotidien
Mon travail est d’élaborer des vins dans le temps. Je construis une cuvée qui finira sa maturation dans plusieurs années. On dit souvent qu’un chef de cave travaille pour son successeur. Le métier de chef de cave demande de la technique mais aussi de l’intuition. Cela commence très tôt dans l’année ; la qualité des parcelles avant même la vendange permet déjà de préparer mentalement sa cuverie pour les futurs assemblages en isolant les secteurs les plus prometteurs. La vendange est fondamentale, en fin de compte la vinification se décide au moment du pressurage. Après il s’agit d’accompagner les vins dans leur évolution et leur permettre de se révéler, par rapport au millésime et au terroir. Notre cuverie nous fournit la palette aromatique à partir de laquelle nous allons construire nos assemblages. C’est alors beaucoup de dégustations, de prises de notes, de discussions, d’échanges pour bien orienter nos vins par rapport à nos cuvées. Dans l’art de l’assemblage, un plus un ne fait pas deux, chaque vin apporte sa touche à l’autre pour en créer un nouveau tout à fait particulier. C’est une création que l’on renouvelle tous les ans avec des paramètres différents pour aboutir à un résultat constant. Mais si on maîtrise la qualité des vins par nos techniques, on ne maîtrise pas l’âme du vin, c’est ce qui rend le métier passionnant.
Avenir
Pour le moment, nous constatons que le réchauffement climatique a été plutôt profitable aux vins de Champagne, la qualité des quinze derniers millésimes le prouve. Mais ce qui m’inquiète le plus c’est la recrudescence de phénomènes météorologiques violents. De fortes pluies, des gros orages, des gelées, des canicules qui mettent à mal la vigne qui n’aime pas les grands excès. À notre échelle, on essaie de faire notre part : nos parcelles sont enherbées, travaillées mécaniquement sans herbicide. C’est mieux pour l’environnement et pour nos vins également car nous récoltons des raisins de qualité qui expriment vraiment le terroir. Mais à grande échelle, c’est un peu l’inconnu. Il va falloir être de plus en plus réactifs pour s’adapter à ces phénomènes, trouver les bons outils et les bonnes méthodes. Comme je suis d’une nature optimiste, je crois sincèrement que nous allons trouver des solutions pour continuer à produire le champagne, ce vin d’exception totalement unique.
Vin idéal
C’est un champagne qui créé du plaisir et de l’émotion. Pour mon goût personnel, il aura de la fraîcheur, de la tension et une structure solide. Une charpente entourée de dentelles.