Depuis 2015, L’Opéra de Paris a ouvert une 3e Scène, non pas, la regrettée troisième scène dédiée aux musiques contemporaines qui existaient dans le projet initial de cet opéra-monstre de la place de la Bastille. Non, ici, il s’agit d’une plateforme numérique gratuite où vous pourrez regarder près de 60 films courts et côtoyer Abd Al Malik et Arnaud de Solignac, Bertrand Bonello, Valérie Donzelli, Bret Easton Ellis, Mathieu Amalric, Fanny Ardant, Clémence Poésy…
Rencontre, dans le Marais, avec Philippe Martin, producteur et créateur des Films Pelléas qui dirige cette collection, avec son collègue Dimitri Krassoulia-Vronsky.
Quelles sont les origines de la 3e Scène ?
Lorsque Stéphane Lissner est arrivé à la direction de l’Opéra, il cherchait un projet numérique. L’idée est venue de créer une troisième scène en parallèle de Garnier et de Bastille. Le projet a d’abord été confié à Dimitri Chamblas, danseur lié à Benjamin Millepied.
Cette année-là, j’ai produit L’Opéra de Jean-Stéphane Bron. Quand on a fini le film, Stéphane Lissner m’a proposé de prendre la succession de Dimitri.

Comment s’effectuent vos choix ?
À quelques exceptions près, on ne travaille qu’avec des gens avec qui nous n’avons pas encore travaillé. On conçoit une ligne éditoriale sur le désir de solliciter des gens dont le travail peut résonner avec l’opéra. On ne va pas naturellement vers des gens qui aiment l’opéra, c’est l’inverse même. Stéphane Lissner a une formule claire pour définir la 3e Scène : « C’est un endroit où on invite des artistes qui n’auraient pas vocation à être invités par l’Opéra à destination d’un public qui n’a pas vocation à venir à l’opéra. »
Nous passons des commandes avec un petit cahier des charges : faire des films qui aient un rapport plus ou moins proche avec les formes d’expression de l’opéra, du théâtre, de la danse, du chant, de la musique ou avec les lieux. C’est ouvert et cadré en même temps.
L’ADN de la 3e Scène, c’est de partir d’un artiste. Parfois c’est un artiste qui a un lien avec l’image, parfois pas. Ça peut être un chorégraphe, un écrivain… Je ne donne pas de consignes particulières aux réalisateurs par rapport à la plateforme car on ne peut pas aller contre le langage de quelqu’un, ou alors, il ne faut pas le choisir.


Pouvez-vous nous parler des différentes esthétiques de la collection 3e Scène ?
J’essaye de me libérer de la fiction, de la dramaturgie, de toutes ces choses qui font tellement le langage cinématographique en général. Ce qui est bien, dans ce cadre, c’est de partir sans tout savoir. Ce qui m’intéresse, c’est l’idée de faire des expériences, d’essayer des choses, de permettre à des œuvres d’exister.
Comment définiriez-vous votre métier de producteur ?
Le travail du producteur est un mélange de goût, d’intuitions, de connaissances. Je sors beaucoup, je suis en perpétuelle recherche. Depuis que je produis, je sais qu’il n’y a pas une seule façon de produire, je m’adapte beaucoup, on ne sait jamais où est l’acte de produire, de permettre à un film d’exister.

Pouvez-vous nous parler de votre présence au montage des films ?
Le montage c’est presque le plus important pour moi, c’est vraiment là qu’un film se gagne ou se perd. C’est un moment délicat parce que l’artiste ne voit pas la même chose que vous. C’est un moment où il faut vraiment faire confiance à son regard. Si je suis producteur, c’est, peut-être, que j’ai quelque chose en plus qu’une personne lambda donnant son avis sur un film. Il faut être diplomate et ne jamais lâcher même si vous devez convaincre un réalisateur de changer de monteur en cours de route. Il faut toujours penser à ce que peut gagner un film.
Quelles sont vos ambitions pour la 3e Scène ?
C’est un peu banal de le dire mais les esthétiques dominantes aujourd’hui ne sont pas celles que je défends. À la télévision, le langage visuel du reportage ou de la photo peu soignée est dominant. Sur internet n’en parlons pas, ces questions ont même quitté la sphère d’internet. Tout cela n’a que peu à voir avec l’art. En fait, il faut accepter l’idée que dans la masse des productions, en cinéma comme en littérature, les œuvres d’art réelles sont minoritaires. Cela peut paraitre prétentieux de le dire mais ce qui nous mobilise ici, et nous pouvons aussi nous tromper, c’est de tendre vers des œuvres d’art. Nous avons constitué un espace de création dans lequel nous pouvons nous préoccuper avant tout de la qualité.


3e Scène – Opéra de Paris : sur le site de L’Opéra de Paris et sur Youtube :
• Le fantôme (2019 – 26,11 min) de Jhon Rachid et Antoine Barillot
• Degas et moi (2019 – 20 min) de Arnaud des Pallières
• Les Indes Galantes (2018 – 5,49 min) de Clément Cogitore
• Le lac perdu (2019 – 7,35 min) de Claude Lévêque
• Vibrato (2017 – 7,22 min) de Sébastien Laudenbach
• Nepthali (2015 – 3,43 min) de Glen Keane
• …etc

