La 54ème édition du Taittinger — Prix international de cuisine d’auteur aura lieu le 31 mai. Pour l’occasion, le chef Bruno Verjus (Restaurant Table, 1 étoile au guide Michelin) nous livre un récit autour du thème de cette année : Le boeuf. 

Une légende familiale raconte que mon arrière-grand-père aurait traversé l’Europe accompagné de sa seule vache — sans doute une grise de Hongrie — pour arriver à Renaison. Un village de la Loire, les vallons de cette «petite Suisse» lui rappelaient sa Haute-Silésie natale. J’en ai gardé le goût des voyages — et celui des vaches. Qu’elles soient de race bretonne pie noir, rouge des Flandres, jersiaise ou froment du Léon, j’apprécie le lait de chacune de ces vaches, à fort taux butyrique. Il caresse le palais comme une crème de beauté. Plus encore, j’aime les vaches de race abondance, maraîchine, salers, Maine-Anjou et normande, pour leur addiction aux fleurs, aux coumarines des graminées odoriférantes, comme autant de promesses gourmandes.

Si dans le cochon, tout est bon, dans la vache, tout est vertu. Vertu sacrée, même, pour les bouses indiennes ou celle à fumer, séchée, de « Bijou », la vache d’un vigneron magique d’Auvergne qui promet tous les envols. L’Université de Boston ne va-t-elle pas jusqu’à célébrer les promesses antirides de la bave de vache, jugée miraculeuse? Son urine, elle, vaudrait de l’or, puisqu’elle en contiendrait 10 mg au litre ! Quant à son lait, c’est une panacée médicale, pour ses peptides aux effets hypotenseurs. Mais la Vache majuscule n’a nul besoin de ces faire-valoir pour incarner le bonheur de vivre et de nourrir, jusqu’à offrir son corps aux gourmands. 

Ses valeurs essentielles résident dans son cycle de vie. Produire des veaux, du lait puis, après douze, treize, voire dix-sept ans, terminer son cycle, en action de grâce, à regarder passer les trains et nous nourrir de ses chairs. Voilà le sort de ces vaches « maman » engraissées d’herbes et de céréales nobles. Une eucharistie païenne. Des bêtes, élevées par les paysans du village, originellement païens, célèbrent la boucle vertueuse d’un cycle où le bien élevé rejoint le bien nourrir.

Chez Table, je ne travaille que des vaches de races anciennes ayant accompli le cycle complet de leur vie. Les aloyaux, morceaux nobles correspondant à la partie latérale arrière du bovin, sont maturés quelques semaines sur os.

Cette maturation permet la transformation du glycogène musculaire en acide lactique. Ainsi abaissé, le pH de la viande active des enzymes spécifiques, des protéases, propices à la fragmentation des protéines. La viande s’attendrit.

D’autres enzymes, les lipases, font naître le bon goût de la viande, son parfum.

Pour la cuisson, il s’agit d’obtenir une jolie réaction de Maillard. J’aime cuire une belle côte de vache dans une poêle constellée de grains de sel. Les grains de sel claquent comme des pétards, ils appellent la viande. La poêle offre une température idéale. La côte bien persillée laisse fondre ses gras enfleurés. La viande chante à rythme soutenu. Il faut la retourner fréquemment pour s’assurer d’une bonne circulation des sucs à l’intérieur des tissus et veiller à sa sapidité. La caramélisation des sucres et des protéines s’opère. Voilà la réaction de Maillard pour une côte bien «croûtée» sur ses deux faces. Elle peut alors reposer à température de 50 °C, pas plus, le temps d’un long repos mérité. Un dernier aller-retour dans une poêle très chaude pour la faire croustiller, et la voici prête pour la découpe. Tranchée, elle se pare de bruns dorés, de roses pâles et de rouges carmin. Pour leur dernier voyage vers notre palais, j’aime les escorter d’un bel anchois de Santona en guise de note iodée et salée. 

table.paris
prixculinaire.taittinger.fr

Texte : Bruno Verjus
Illustration : Philippe Dargent (@hobbojournal)