La production de millésimes par la Maison Taittinger n’est pas systématique et cela est d’autant plus vrai pour le Comtes de Champagne. Ce choix d’élaborer un nouveau millésime dépend d’une philosophie exigeante, garante de la signature de la Maison Taittinger. Damien le Sueur, directeur général, nous raconte l’émergence d’une nouvelle cuvée Comtes de Champagne.
La Maison Taittinger lance un Comtes de Champagne Blanc de Blancs 2011 ainsi qu’un Comtes de Champagne Rosé 2008. Quelle est l’histoire derrière ces années ?
2011 est une année chaude et précoce. Le mois d’avril est exceptionnellement chaud, avec des températures dépassant de 4°C les normales saisonnières. Le cycle végétatif est très rapide et début mai les stades phénologiques de la vigne montrent près de 15 jours d’avance par rapport à la moyenne décennale ! Par ailleurs, 2011 est une année très calme sur le plan sanitaire.
Les vendanges démarrent le lundi 22 août sous des températures caniculaires de plus de 33 °C. Cette grosse chaleur perdure le mardi et interrompt la maturation des baies qui était sur une dynamique extrêmement importante de près de 2 % vol. par semaine sur les chardonnays et 1,5 % vol. pour les cépages noirs. De façon providentielle, la pluie est arrivée et nous avons eu des quantités d’eau importantes les jeudi et vendredi. Ceci a rapporté beaucoup de fraîcheur et a permis à la maturation de reprendre son cycle tranquillement la semaine du 29 août, après une phase de blocage et de dilution. Enfin, les vendredi et samedi 2 et 3 septembre, les températures sont à nouveau caniculaires, on atteint 34 °C. Les vendanges auront débuté le lundi 22 août pour se terminer le mercredi 7 septembre… vendanges les plus précoces de mémoire d’ Homme.
Récolte singulière ! Il a presque fallu gérer deux vendanges, avec un démarrage sur les cépages noirs dans un premier temps et les chardonnays en seconde semaine avec plusieurs jours d’arrêt entre les deux. C’est d’ailleurs la première fois qu’en Champagne, on observe autant d’opérateurs qui arrêtent leur pressoir quelques jours, allant jusqu’à renvoyer des équipes de vendangeurs pour s’adapter à cette situation inédite.
Retenons que les chardonnays avaient besoin de temps pour mûrir convenablement et développer leur potentiel aromatique. Nous avons été un peu bousculés par la nature et il a fallu adapter nos organisations. Ceux qui ont travaillé sans adapter les habitudes sont probablement passés à côté du millésime.
Comment cette situation a-t-elle évolué pour que s’impose à vous la décision de produire un Comtes de Champagne Blanc de Blancs 2011 ?
À la vendange, nous ne nous projetions pas nécessairement sur l’élaboration d’un millésime, car nous étions inquiets de l’impact de ces grosses chaleurs sur nos vins. Si l’on caricature un peu l’année, nos dégustations ont révélé trois types de situation :
1/ les cépages noirs, avec des arômes déjà très présents, exprimant de la puissance et manquant un peu de délicatesse. Des vins intéressants mais pas suffisamment de structure pour envisager un Brut Millésimé. Quelques pépites sur les pinots noirs issus des Grands Crus sur sols de craie ont autorisé l’élaboration d’un Comtes Rosé…
2/ les chardonnays de début de vendange, cueillis trop tôt, sur lesquels le potentiel n’a pu se révéler. La dominante aromatique végétale et le manque de structure les ont exclus de tout projet de millésime.
3/ les chardonnays de la seconde partie de vendange sur les beaux terroirs. Le jour et la nuit ! Quelques jours qui font toute la différence, mais surtout une maturation qui va au terme de son potentiel !
Il faut distinguer les années. Il est toujours simple de travailler sur de très bonnes années, faciles, évidentes. Sur les années plus difficiles, le travail est plus délicat, comme en 2011. C’est une vraie satisfaction de sortir un merveilleux millésime lors d’une année un peu plus complexe. Cela démontre à quel point le travail de chacun, de la vigne au vin, est crucial, arrimé à une vision précise de ce que l’on attend, à un timing serré. Pour autant, la décision ne se prend pas à la vendange.
Sur quels critères décidez-vous de la mise en production d’un Comtes de Champagne ?
In fine, la décision est toujours liée à la dégustation des vins clairs. Que la naissance soit une évidence ou qu’elle fasse l’objet d’une réflexion plus lente, ce qui prévaut, c’est le potentiel d’évolution du vin. Qu’est-ce que ce vin exprimera dans dix, quinze, vingt ans ? Les Comtes sont des champagnes qui ont un potentiel de garde immense. Bien sûr, le vin n’est plus le même après quarante ans de garde, il développera de nouveaux arômes de pain brioché, de tartine beurrée, mais ce ne sera jamais écrasé, jamais lourd, jamais « compoté ».
Au moment de l’assemblage, la finesse, la tension, la profondeur sont des critères sur lesquels nous ne transigeons pas pour écrire un nouveau millésime de Comtes de Champagne. C’est un potentiel que nous jugeons. Sur ces critères, même sur des années chaudes comme nous les connaissons plus régulièrement ces dernières années, il est tout à fait possible d’obtenir le produit que nous souhaitons. La fraîcheur des vins n’est pas corrélée uniquement aux températures de l’année. Heureusement ! La bonne gestion de la vendange et le process de vinification participent à l’expression du potentiel aromatique.
La Maison Taittinger ne produit pas systématiquement de millésime, et encore moins sa cuvée Comtes de Champagne, qui est encore plus rare. Pourquoi ?
Les années se suivent et ne se ressemblent pas ! Nous remettons l’ouvrage sur le métier tous les ans. Sur les Comtes de Champagne, l’exercice est d’une infinie précision, fruit d’un long processus. Blanc ou rosé, nous avons fait le choix de retenir uniquement les cinq grands crus de la Côte des Blancs pour les chardonnays, et quelques grands crus de la Montagne de Reims pour les pinots noirs. Ces terroirs expriment chacun leur typicité.
Chaque cru doit être au niveau d’exigence que nous souhaitons pour pouvoir élaborer un millésime de Comtes. Ajoutez à cela le fait que nous œuvrons sur des années qui sont elles-mêmes très différentes les unes des autres.Tous les millésimes de Comtes de Champagne sont uniques ; mais ils constituent une même famille avec un ADN commun, un fil conducteur sur la tension, la finesse, la précision.
Qu’aimez-vous dans ce vin ?
J’aime ce qu’il nous raconte. Derrière un travail de plus de dix années où chaque étape fait l’objet d’une réflexion profonde, de gestes précis, la dégustation est une rencontre qui fait naître des émotions d’une incroyable densité.