Lors d’un sombre incendie du conservatoire de la rue Le Peletier à Paris en octobre 1873, un jeune pianiste aurait eu le visage brûlé et sa fiancée, une jeune ballerine, y aurait perdu la vie. Telle est la sombre genèse qui donna naissance au célèbre roman “Le Fantôme de l’Opéra” de Gaston Leroux et à ses nombreuses adaptations, telle que la comédie musicale d’Andrew Lloyd Webber.

Suite à ce dramatique incendie, l’inconsolable pianiste, défiguré, aurait trouvé refuge dans les souterrains de l’Opéra Garnier et y aurait séjourné jusqu’à sa mort. Il aurait vécu à proximité du lac présent sous l’Opéra, consacrant la fin de sa vie à son art et à l’achèvement de son œuvre, un hymne à l’amour et à la mort. Son cadavre n’ayant jamais été retrouvé, on pense qu’il fut confondu avec les corps des communards. 

De la même façon que le Frankenstein (1817) de Mary Shelley ou le Dracula (1897) de Bram Stoker, Le Fantôme de l’Opéra (1910) de Gaston Leroux fait partie de ces œuvres qui, parce qu’elles fondent des mythes, se sont rapidement enracinées dans l’imaginaire collectif. L’auteur relate des événements étranges : un lustre effondré pendant une représentation, un machiniste retrouvé pendu et les directeurs de l’Opéra se voyant réclamer 20 000 francs par mois de la part d’un certain « Fantôme de l’Opéra » ; celui-là même qui exige que la loge numéro 5 lui soit réservée. 

Lorsque l’histoire est adaptée sur les planches de théâtres, l’intrigue est concentrée autour de la romance entre la belle soprano, Christine Daaé et le mystérieux fantôme vivant dans le labyrinthe souterrain de l’Opéra de Paris.  Le soi-disant fantôme élèvera Christine et l’utilisera pour faire exécuter son œuvre avant-gardiste le Don Juan Triomphant. À l’origine d’une telle adaptation, nous retrouvons en 1986 le célèbre compositeur britannique Andrew Lloyd Webber et le non moins célèbre producteur Cameron Mackintosh. Les paroles sont de Charles Hart et le livret de Richard Stilgoe.

Andrew Lloyd Webber compose Le Fantôme de l’Opéra et ses envolées lyriques insensées, sur-mesure pour sa compagne Sarah Brightman qui interprète le rôle principal de l’innocente Christine Daaé. Insensés, le sont tout autant les décors et les costumes : les décors baroques basés sur les tableaux de Degas confèrent au spectacle une poésie intemporelle et les 230 costumes, chacun comportant environ dix pièces – des chaussures aux chapeaux en passant par les bas et les perruques ; elles sont l’œuvre de la célèbre Maria Björnson et son sens unique de l’expressionnisme romantique.

L’œuvre est singulière, à la croisée de l’opéra et de la comédie musicale. La présence d’éléments opératiques s’explique d’une part par le sujet évoqué et une certaine fidélité au roman de Gaston Leroux. Mais Lloyd Webber cherche peut-être aussi à nous faire réfléchir sur la notion de genre et à nous montrer que la comédie musicale et l’opéra ont finalement beaucoup de choses en commun. 

La passion aussi dévorante que maudite entre la soprano, jeune et innocente, muse au talent étincelant, et le Fantôme, un homme défiguré, vengeur, compositeur terré dans son repaire, n’est pas sans rappeler celle de la Belle et la Bête ou d’Esmeralda et Quasimodo. Un vocabulaire littéraire qui a sans nul doute contribué au succès de cette œuvre. Car Le Fantôme de l’Opéra est la comédie musicale de tous les records : deuxième spectacle musical resté le plus longtemps à l’affiche à Londres, premier spectacle resté le plus longtemps à l’affiche à New York. Elle détient 4 Laurence Olivier Awards et 7 Tony Awards dont ceux de la meilleure comédie musicale. Pourtant, malgré ce succès infaillible, Andrew Lloyd Webber ne cesse d’imaginer de quoi renouveler l’intérêt du public grâce à des productions sans cesse revisitées et toujours plus spectaculaires et allant même jusqu’à composer une suite (Love Never Dies).

Malgré ses exportations et révisites, la légende du Fantôme de l’Opéra est loin de s’essouffler. La chute inexpliquée de lustres – qui reste fréquente – et l’incendie du Théâtre Mogador à l’approche de l’ouverture de la représentation ont alimenté les soupçons des plus romantiques. 

Texte : Amélie Cabon