Le jazz n’est pas né à Marciac mais il y est chez lui. Depuis 47 ans, cette petite bastide gersoise de 1200 âmes se gonfle pendant son festival d’une population qui vient de loin vibrer avec les plus grands interprètes du monde. Cependant, ses affinités avec le jazz vont bien au-delà du festival…  

Un dimanche d’août 1978, au lieu d’accueillir une course landaise, les arènes de Marciac s’emplirent de jazz New-Orleans. Invités par Jean-Louis Guilhaumon, un jeune enseignant mordu, Claude Luter et sa formation venaient, sans le savoir, d’allumer la petite étincelle qui allait bientôt enflammer le village et faire de lui un phénomène culturel français. « C’était une musique qui n’était pas très connue dans nos campagnes, fait remarquer Jean-Claude Lasserre, trésorier de l’association Jazz in Marciac. Mais la soirée a été une réussite alors on a continué. » Continuer, c’était voir un peu plus grand, puis beaucoup plus grand, élargir le socle musical, réquisitionner l’usine puis le terrain de rugby, enrôler quelques bonnes volontés puis une armée de bénévoles. Jusqu’à pouvoir accueillir plus de 300 000 spectateurs* pendant 18 jours au cœur de l’été, tel que maintenant.

Conviction et chance

Cette success story, la bande de passionnés à l’origine du festival la doit à sa force de conviction mais aussi à la chance : installés près de Marciac, deux figures du jazz, Guy Lafitte et Bill Coleman, prirent fait et cause pour le projet et battirent le rappel de leurs amis. Les têtes d’affiche aspirèrent le public de proximité, le monde attira le monde. Beaucoup de CSP+ conquis par l’ambiance bon enfant du festival autant que par la douceur de vivre et le bien manger qu’offre le Sud-Ouest, et surtout prêts à faire des centaines de kilomètres pour écouter de la bonne musique. Ils ont été servis : Lionel Hampton, Stan Getz, Count Basie, Ray Charles, Dizzy Gillespie, Michel Petrucciani, Nina Simone, Keith Jarrett… et, rien qu’en 2025, Herbie Hancock, Ben Harper, Oscar Peterson, Santana, Dee Dee Bridgewater… Impossible de dresser la liste complète des artistes qui, depuis 47 ans, ont fait le voyage, et souvent plusieurs fois : elle serait trop longue. Les majeurs y sont tous. Tous ? « Ah non, c’est vrai, il nous en a manqué deux : Ella Fitzgerald et Miles Davis, regrette Jean-Claude Lasserre. Ils ont disparu avant que le festival se soit fait une notoriété mondiale. »

Un festival qui redessine le village

L’impact du festival et du tourisme musical qu’il a entraîné est considérable. L’offre d’hébergement était quasi inexistante : hôtels et chambres d’hôtes se sont mis à pousser dans un rayon de 40 km. « On n’a pas d’aéroport ni de gare TGV. Toulouse est à 130 km et Bordeaux 190. Il fallait bien que les gens trouvent de quoi se loger ici mais aussi de quoi s’occuper en dehors des grands concerts du soir. » Alors les organisateurs ont créé le Festival Bis sur la place du village ouvert gratuitement au public pour célébrer le jazz toute la journée. Référencé comme l’un des 12 festivals emblématiques français, Jazz in Marciac est celui qui reçoit le moins d’argent public (10 % de son budget). Son équilibre financier repose sur le bénévolat massif – près de 900 en pointe –, la billetterie, les recettes annexes et le mécénat qu’il cherche encore à développer.

Comptant parmi ses partenaires depuis six ans, la Maison Taittinger permet aux festivaliers d’ajouter la dégustation de champagne à leur expérience musicale.

La vie au rythme du jazz

Le plus inouï dans cette aventure associative, c’est que le jazz a pénétré le village par tous les pores. Une salle de spectacle qui vit toute l’année lui est dédiée. Un atelier de fabrication de disques vinyles s’est installé. L’ouverture d’une section jazz au collège il y a 30 ans a produit un appel d’air et sauvé l’établissement. Des élèves des premières promotions se réalisent dans la musique, comme le saxophoniste Émile Parisien, lauréat de plusieurs Victoires du jazz. Dans le prolongement, un campus d’excellence, avec formations musicales et métiers techniques, est en projet. Un nouveau défi fou à relever. « Oui, il fallait être un peu fou pour se lancer, convient Jean-Claude Lasserre. Mais aujourd’hui plus personne n’imagine Marciac sans le jazz. Dans nos ruralités, c’est ça ou on meurt. »

*Fréquentation mesurée par l’outil Flux Vision à partir de la localisation des portables
www.jazzinmarciac.com / IG : @jazz_in_marciac

Texte : Catherine Rivière