À Megève, le chef triplement étoilé livre une cuisine profondément ancrée dans son terroir, inventive et joueuse.
La montagne, c’est chez lui. Dans sa prime enfance, déjà, Emmanuel Renaut, le chef du Flocons de Sel, à Megève, passait toutes ses vacances dans ses montagnes alpines, quittant pour l’occasion les plaines de Picardie. Il ne s’agit pas là de simples souvenirs de congés puisque cette passion vraie pour la montagne le conduira, l’âge venu, dans les rangs des chasseurs alpins. Et c’est donc tout naturellement qu’il a ouvert en 1998 son restaurant à Megève.
Entre ces deux temps, celui de l’enfance et celui de l’accomplissement, un long cheminement professionnel jalonné de découvertes et d’apprentissages multiples. Dix ans avant Megève, à la sortie de sa formation, il connaît plusieurs établissements parisiens avant de toucher à l’un de ses premiers rêves : cuisiner à l’Hôtel de Crillon, sur la place de la Concorde, sous la houlette du chef Christian Constant. Il n’y restera pourtant qu’une année, comme premier commis, mais une belle année, selon lui, car, très vite, c’est le chef Marc Veyrat, le chantre d’une cuisine paysanne réinventée, qui le repère.
Emmanuel Renaut aurait pu hésiter car il ne s’agit alors que d’un poste de saisonnier, mais l’appel des montagnes de son enfance est trop fort… Il y a trop d’évidence à cette association. Ils chemineront ensemble, à l’auberge de L’Eridan, au bord du Lac d’Annecy, jusqu’à la troisième étoile obtenue après que Marc Veyrat l’ait choisi pour être son second en cuisine. Viendra ensuite l’expérience du Claridge, à Londres, et une reconnaissance désormais internationale. Emmanuel Renaut ose. Il tente sa chance en se présentant au prix culinaire international ‘Le Taittinger’, obtenant la troisième place du concours.
C’est là que son rêve d’un restaurant qui serait le sien s’épanouit. Un peu par hasard, il trouve une pizzeria à reprendre, dans le centre historique de Megève. C’est là qu’Emmanuel Renaut et son épouse, Kristine, installeront le Flocons de Sel avant de le transférer, quelques années plus tard, sur les lieux d’une ancienne auberge ayant entièrement brulé quelques années auparavant. Le couple y bâtira le nouveau Flocons de Sel en l’associant à une partie hôtellerie, et inaugurera l’établissement en 2008. Ici, dans ses montagnes, Emmanuel Renaut gravira tous les échelons du cursus honorum cuisinier, du titre de meilleur ouvrier de France à sa première étoile. Il en compte désormais trois pour sa table, depuis 2012.
Sa cuisine est très attachée à son terroir, à ses montagnes et aux produits que l’on peut y trouver à chaque saison. C’est en cela que l’on compare parfois ses créations à celles d’Alain Passard, le cuisinier-jardinier qui s’attache lui aussi à suivre les saisons et à proposer ses propres produits.
Emmanuel Renaut a ses poules, ses ruches, il fait son pain, n’utilise dans ses préparations que du lait du Val d’Arly… L’été, il cuisine volontiers la truite Féra du Léman, de manière extrêmement naturelle, privilégiant une cuisson au sel, et qu’il sert avec un jus de berce, cette plante que l’on ignore souvent, au bord des chemins. Elle apporte pourtant à ce plat simple toutes les subtilités d’un jus d’agrumes. Autre star du lac, l’écrevisse est juste accompagnée d’un lait de Reine-des-prés, cette fleur si commune et pourtant si flatteuse avec ses saveurs d’anis et d’amande.
L’ancien chasseur alpin se fait guide de haute-montagne pour donner à découvrir tout ce qu’il y goûte. À l’image de ces « mauvaises herbes », Emmanuel Renaut redonne ses lettres de noblesse au céleri, celui de son jardin, transcendé lorsqu’il est monté en risotto. Sa délicate sucrosité se confronte alors à la puissance rustique d’un fromage de Beaufort parfumé par les herbes et les fleurs que les vaches d’alpage mangent à longueur de printemps et d’été. Et si l’on souhaite pousser un peu plus l’expérience, le chef propose de l’agrémenter « d’un jaune d’œuf cuit dans le sel, séché et râpé » sur le risotto. À tomber.
À la saison de la chasse, le chevreuil est à l’honneur. Il est servi rôti, avec une belle purée cardinal échalotes et betteraves, « une tartelette aux champignon, oignons et viennoise de truffe, ainsi qu’un coulis de mûre ». La chair fine du gibier, très délicate, goûteuse sans être trop forte, se révèle autrement au contact des saveurs douces des légumes et de la pointe d’acidité apportée par le fruit. Ici aussi, c’est tout le terroir de la Haute-Savoie qui s’exprime dans un plat qui combine une apparente simplicité et une complexité aromatique rare. On aime, on goûte et l’on revient forcément. Au Flocons de Sel, ou au Flocons Village, l’ancienne pizzeria devenue aujourd’hui une auberge-bistrot, le second restaurant du chef. La boucle est (presque) bouclée.