La lumière de cet été si chaud dessine une autre géographie de la ville. D’abord on cherche l’ombre pour se déplacer, nos itinéraires diffèrent des temps calmes. La ville devient un terrain de jeu qui s’organise autour des ombres portées, tout pour éviter les longues trouées chauffées par le soleil. On bénit les tilleuls de la place Jules Lobet, les travées des promenades, la ligne d’arbres de la rue Libergier, les colonnades de la place d’Erlon mais nos pas ne peuvent se restreindre à ces quelques havres. Nous nous risquons dans les rues acier. C’est une rareté que de considérer le soleil comme un ennemi et non un complice dans cette région si dénigrée.

Nous apprenons une autre ville. La hauteur des immeubles, les toits plats, aigus, les dômes, les balcons tout ce qui est dessiné en haut devient des droites et des diagonales qui forment la ligne d’ombre qui abrite nos nouveaux itinéraires, en bas. Une autre ville apparaît ; la projection continue d’une autre architecture se lit, non pas l’habituelle, la verticale mais une ville tatouée par les arêtes de ses plus grandes hauteurs. Tout devient forme comme dans ce dessin animé, La Linéa où le réalisateur Osvaldo Cavandoli faisait apparaître son personnage et tous les accessoires de son histoire à partir d’une simple ligne horizontale. Si la chaleur n’était pas si accablante, on se prendrait à funambuler sur la ligne accidentée des ombres ou à sauter d’une zone à l’autre tel un Yamakasi qui bondit de toit en toit, le danger en moins. Ou encore – histoire de jouer à fond l’inversion des traits –  comme les enfants qui jouent à la marelle entre Terre et Ciel tout en restant dans des cases dessinées au sol…

Ça ne s’arrête pas là, nos parcours citadins nous amènent aussi à apprécier les différentes qualités d’ombres : la sombre, projection des maisons et immeubles ; la diaphane, lumière filtrée par les marquises de verre trempé ; la vibrante, branches et feuilles qui laissent filtrer quelques rayons en fonction du vent léger. Enfin, nous réapprenons la rotation de la terre en guettant la progression des pénombres, telle rue écrasée par le soleil de midi devient un abri pour l’après-midi.

La ville est un amusement permanent.

Texte : Jérôme Descamps
Illustrations : Philippe Dargent