Œdipe roi, Le testament d’Orphée, le sang du poète, La Machine infernale… Les références abondent. Dans l’œuvre de Cocteau, il n’est pas rare de croiser au détour d’un poème, d’un film ou d’un dessin les figures mythologiques. Des références littéraires, mais surtout un passage vers la création…
Plus qu’une passion, c’est un véritable levier artistique pour Cocteau. La mythologie comme fenêtre vers l’imaginaire, un passage dans le monde de la création, une source d’inspiration, d’identification qui l’anime de son enfance jusqu’à sa mort en 1963. Intemporelle, elle parle des grands thèmes de l’humanité, de l’homme et de la société, laissant à Cocteau le loisir de piocher dans ses symboles pour y développer son travail, et nourrir sa réflexion.
Mise en poésie
Autodidacte, il suit une éducation classique, bercé de théâtre et de cinéma à travers sa mère. Il découvre la poésie, s’y jette à corps perdu et se fond d’admiration pour ses auteurs, avec une attention toute particulière pour Raymond Radiguet qu’il rencontrera en 1918 à l’âge de 29 ans. Dans son entourage, les grands maîtres comme Pablo Picasso et Erik Satie participent au maillage de son œuvre (le ballet Parade, 1917), à la mise en poésie de sa pensée. Si les formes sont multiples, art plastique, théâtre, cinéma… Pour Cocteau, tout est poésie. « C’est d’abord l’écriture qui compte, c’est la poésie qui transcende les différents médiums », nous précise Françoise Leonelli, conservatrice en chef au musée Jean Cocteau de Menton. Il va même jusqu’à parler de « cette encre qui coule dans ses veines ».
Double je
Son double mythologique, son alter ego se dessine alors très vite. Orphée, symbole du poète, musicien qui charme par ses vers et sa lyre, va s’imposer à Cocteau. Ce héros grec est aussi célèbre pour sa triste passion avec Eurydice, qu’il a tenté de sauver des enfers, et fait de lui l’une des rares figures à avoir pu accéder au royaume d’Hadès et en sortir. En voguant de monde en monde, celui des vivants et des morts, Orphée devient un intermédiaire. Il incarne cette capacité à passer d’un état à l’autre. C’est cette aptitude, qui va habiter Cocteau et qu’il va retranscrire dans nombre de ses travaux (on pense notamment à sa tragédie Orphée, 1926, et au film Le sang du poète, 1930). La création appartient pour lui à un univers différent, que l’on ne peut atteindre que par certains passages, avec l’aide d’intermédiaires, que ce soit un mythe, un symbole, un miroir comme de l’opium.
Une notion prépondérante que Cocteau va également retrouver chez Œdipe. Si l’homme de lettres à perdu très jeune son père et noué une relation fusionnelle avec sa mère, ce n’est pas sur le versant freudien du mythe qu’il faut chercher, mais d’avantage dans la faculté qu’Œdipe a, à la fin de vie, à voir le monde en tant qu’aveugle. Une fois encore, l’ambivalence entre le monde du visible, de l’invisible refait surface. « Œdipe a les yeux de l’initié, celui du sachant, qui a été initié au mystère » comme l’explique Françoise Leonelli. Il « décalque l’invisible » comme aimait dire Cocteau de lui-même, et montre au commun des mortels l’imperceptible.
Des allers-retours permanents, entre les mondes, qui vont permettre à Cocteau de pousser sa réflexion sur la création artistique. La coexistence de réalités contraires valorise le rôle de l’intermédiaire, celui de l’artiste, du créateur. Il passe lui-même par différents médiums pour véhiculer cette idée. Les mythes l’aident alors à nous faire visualiser ses hypothèses, à accéder à ce monde alternatif. Il crée de fait sa propre mythologie, son récit contemporain, et comme il aimait à dire « retend la peau des mythes ».