Publié en 1719, « Robinson Crusoé » est considéré comme le premier roman d’aventures écrit en anglais. Pour imaginer cette fiction, Daniel Defoe, son auteur, s’est inspiré de l’histoire réelle d’Alexander Selkirk, abandonné plusieurs années sur une île déserte.
Quatre ans et quatre mois. C’est le temps pendant lequel Alexander Selkirk survécut dans la plus grande solitude sur une île de l’archipel Juan Fernandez, au large de Valparaiso, à quelque 600 milles des côtes chiliennes, après y avoir été abandonné… à sa demande !
Il faut dire que, né en 1676 à Lower Largo, en Écosse, Alexander, personnalité fruste et violente, est doté d’un caractère pour le moins querelleur et indiscipliné. En 1693, devant être jugé pour « conduite indécente dans une église », il prend… le large et commence une carrière de marin. En 1703, le voilà embarqué dans une expédition corsaire sur l’océan Pacifique. En octobre 1704, à l’occasion d’une escale pour ravitailler le bateau sur lequel il navigue, un différend l’oppose au capitaine. Selkirk refuse de reprendre la mer et exige qu’on le laisse sur l’île de Más a Tierra. Lorsque le navire s’éloigne, il comprend son erreur. Trop tard.
Solitude, misère, remord…
La solitude, la misère, le remord devinrent alors les seuls compagnons d’Alexander Selkirk. À peine trouva-t-il dans la Bible qu’on lui avait laissée de quoi ne pas devenir fou, et le moyen de conserver la pratique de l’anglais en la lisant à haute voix.
Ce n’est qu’en février 1709 qu’une autre expédition corsaire commandée par Woodes Rogers fit escale sur l’île et y découvrit « un homme vêtu de peaux de chèvres à l’air plus sauvage encore que leurs propriétaires originales ».
Alexander Selkirk attendra encore plus de deux ans (octobre 1711) avant de retrouver son sol natal. En 1712, Rogers publia un livre (A Cruising Voyage Round the World) qui contribua à sa renommée.
Héros universel
Defoe a-t-il rencontré Selkirk ? Rien n’est moins sûr. Mais il a croisé Woodes Rogers et aurait donc recueilli son histoire de la bouche même de son sauveteur. Le reste est affaire de littérature : à la différence de Selkirk, Robinson est rejeté sur une île de la Côte Est de l’Amérique du Sud à la suite d’un naufrage. Defoe l’y confine pendant 28 ans, et lui adjoint finalement Vendredi (un jeune indigène canibale) pour compagnon. Dès sa parution, le roman connaît un succès phénoménal et Robinson Crusoé est aujourd’hui encore l’incarnation même du naufragé solitaire. Alexander Selkirk a-t-il jamais imaginé devenir un héros universel ?
En dépit d’une gloire éphémère, il ne parvint pas à se réadapter à la société. En 1717, il reprit la mer en s’enrôlant à bord du HMS Weymouth, un navire de la Royal Navy qui contrôlait la piraterie au large du Ghana. C’est à son bord qu’il succomba à la fièvre jaune, le 13 décembre 1721, et fut inhumé en mer.
En 1966, le gouvernement chilien rebaptisa « Robinson Crusoé » l’île Más a Tierra où vécut Selkirk, et donna le nom d’Alejandro Selkirk à l’île voisine de Más Afuera, sur laquelle l’Écossais n’a jamais mis les pieds…
