À la charnière des XIXe et XXe siècles, Auguste Escoffier modernise la cuisine et pose les bases d’une gastronomie d’excellence « à la française ». 

Il était le plus célèbre cuisinier de son temps et l’on a dit de lui qu’il était « le cuisinier des rois et le roi des cuisiniers », à l’image d’Antonin Carême et Jules Gouffé, ses estimés prédécesseurs, tous fondateurs de la gastronomie à la française. Au-delà, même, Auguste Escoffier a joué un rôle majeur dans la formation même du concept de restaurant tel que nous le connaissons encore aujourd’hui. 

Parti de rien, ce fils de forgeron a gravi un à un tous les échelons, débutant comme commis de cuisine chez son oncle, à Cannes. Très vite, Escoffier se montre à la fois inventif en cuisine, mais aussi rigoureux et organisé lorsqu’il s’agit de diriger une brigade. Il rejoint Paris pour travailler au Petit Moulin Rouge, devient chef de cuisine au quartier général de l’armée du Rhin pendant la guerre franco-prussienne de 1870, avant de prendre la direction de la très renommée Maison Chevet, qui organise alors des dîners à Paris et dans plusieurs capitales européennes. Là, Auguste Escoffier commence à rencontrer les grands de ce monde et à s’en faire estimer. Il faut dire que l’homme sait y faire lorsqu’il s’agit d’honorer un convive célèbre. Il donne alors son nom à l’une de ses dernières créations. C’est ainsi que l’on trouve tour à tour à sa carte, la salade Eugénie (en hommage à l’impératrice), les fraises Sarah Bernhardt, la timbale Garibaldi ou le poulet George Sand. Sans oublier la célèbre pêche Melba, en référence à Nellie Melba, qui triomphe alors dans Lohengrin de Richard Wagner. On lui doit aussi la poire Belle-Hélène, un dessert à base de poires pochées dans un sirop et nappées de chocolat chaud, en hommage à l’œuvre éponyme d’Offenbach.

Homme de cuisine, Auguste Escoffier est aussi un brillant homme d’affaires. L’expansion du réseau ferroviaire à la fin du XIXe siècle contribue à faire de la Riviera française le lieu de villégiature privilégié de toute l’aristocratie et de la bourgeoisie d’affaire. Escoffier a une trentaine d’année lorsqu’il devient le chef de cuisine du directeur d’hôtel César Ritz, à Cannes, puis à Monte-Carlo. Ensemble, ils inventent les standards de l’hôtellerie de luxe telle que nous la connaissons aujourd’hui et dans laquelle la gastronomie d’excellence « à la française » tient un rôle central. 

Avec Ritz, il rejoint les cuisines du Savoy à Londres (Grande-Bretagne) avant que les deux hommes ne passent un cap supplémentaire dans leur collaboration. Ils font construire le Ritz Paris, puis le Carlton, à nouveau à Londres, et de nombreux autres établissements dans le monde sous cette marque Ritz-Carlton. 

Auguste Escoffier y transforme l’organisation des cuisines. Il rend le port de l’uniforme obligatoire, y interdit de boire de l’alcool et de fumer, met en œuvre la spécialisation des tâches et permet ainsi des gains de temps et de productivité considérables. Il affiche des prix fixes pour les menus, simplifie les recettes, allège l’assiette. Ses méthodes sont proprement révolutionnaires. Homme de taille modeste, il veut en imposer à ses brigades, dont il invente l’organisation quasi militaire. Il adopte alors, pour lui-même, le port de la toque haute. L’empreinte laissée par Auguste Escoffier est à ce titre incomparable. 

Escoffier a connu la plus grande renommée de son vivant. Le grand chef de cuisine est connu de par le monde, sollicité pour mettre en place les brigades des paquebots transatlantiques ou organiser le dîner du couronnement du roi George VII. Auteur culinaire à succès, il diffuse largement ses recettes et crée même, à 82 ans passés, la « World Association of Chefs Societies » dans le but de « faire progresser la profession et tirer parti de l’influence de la veste de chef pour le bien de l’industrie et de l’humanité en général ». Vaste programme porté par un homme dont on peine aujourd’hui à imaginer l’aura, en son temps et aujourd’hui encore. Tout au long de leur carrière, Alain Ducasse, Joël Robuchon ou Paul Bocuse se sont souvent revendiqués de son héritage au moment de présenter certaines de leurs créations. Quant à l’organisation qu’il a instaurée en cuisine, elle n’a pour ainsi dire pas bougé. 

Auguste Escoffier en 1914 © DR
Texte : Cyrille Jouanno
Photo de couverture : Auguste Escoffier et son personnel au Carlton de Londres © Musée Escoffier de l’Art Culinaire