Chef de L’Assiette Champenoise, restaurant gastronomique 3 étoiles et hôtel 5 étoiles (situé à Tinqueux, à proximité de Reims), Arnaud Lallement nous fait part de son ressenti sur la cuisine d’aujourd’hui et son métier.
PARCOURS
Après une enfance au milieu des fumets et des casseroles de son père dans le restaurant des origines à Châlons-sur-Vesle, Arnaud Lallement prend la route de l’école hôtelière de Strasbourg et des grandes maisons, comme un Compagnon du Tour de France. En 1996, il intègre le nouveau restaurant familial à Tinqueux dont il prend les commandes en 2000. Un an plus tard, la première étoile tombe du ciel rouge du Michelin. En 2005, la deuxième étoile sort des fourneaux rougeoyants. Les grands travaux commencent en 2009 pour rénover la maison principale et se poursuivent en 2010 pour agrandir l’hôtel ce qui porte à 33 le nombre de chambres et de suites.
Arnaud Lallement se concentre, s’active, défriche, innove, travaille avec ses fournisseurs et sa brigade. En 2016, la 3ème étoile vient couronner la subtilité, l’inventivité et la convivialité de cette magnifique table. La devise de ce cuisinier d’exception est le « manger vrai », le Michelin vante une « partition synonyme de plaisir ». À vous de casser la tirelire pour un moment hors du commun.

RENCONTRE – 18 SEPTEMBRE 2020
10h, le parc est calme, le soleil commence à éclairer la terrasse, les fenêtres de l’hôtel sont ouvertes, les aspirateurs sont en action. Le jardinier prépare la tondeuse, un serveur nettoie méthodiquement fauteuils et tables basses, retape les coussins. Dans deux heures les premiers gourmands vont arriver. La playlist diffuse un mix de musique soft.
Nous nous saluons masqués, puis face à face dans les fauteuils de cuir du salon, nous baissons les masques, la large table basse nous sépare.
Quels changements notez-vous dans la crise sanitaire qui secoue le monde ?
Ce que la covid a changé, c’est que toutes les populations, pas qu’en France, ont eu du temps pour cuisiner. J’espère qu’elles vont continuer, c’est indispensable pour notre bien-être et celui de la planète. Ce qui m’a fait rire c’est que tout le monde achetait des produits proches de chez soi, de saison, plutôt bio. Nous, les grands chefs, c’est ce que nous disons depuis des années et des années.
Comment avez-vous vécu la période de confinement ?
Par obligation comme tout le monde. J’ai bien pensé à de nouvelles recettes mais ça n’a rien à voir, il n’y avait pas de punch. Ma vie est d’être dans un restaurant qui tourne, avec une équipe autour de moi pour gérer 5 problèmes à la fois et trouver 17 solutions en même temps. Bien sûr, j’ai apprécié me retrouver en famille mais je ne changerais pas ma vie pour autant.
Que représentent les trois étoiles que vous arborer depuis 2016 ?
Les gagner est une motivation ; les garder, le challenge de toute une vie. Il y a 115 à 120 restaurants 3 étoiles dans le monde entier, c’est autant d’identités différentes. Vous avez la grande tradition française comme chez Bernard Pacaud à L’Ambroisie, vous avez des étoiles hyper originales comme chez Ferran Adrià, Pierre Gagnaire, Arnaud Donckele ou Emmanuel Renaut.
Parfois, et c’est rare, quelqu’un vous dit Moi, je n’aurais pas fait ça comme ça. Si vous ne voulez pas vous accorder le temps de découvrir l’identité d’une autre personne, ne venez pas dans un 3 étoiles. Nous on est là pour cuisiner, faire plaisir, pour affiner notre style. C’est la même responsabilité que dans n’importe quel métier passion, chacun a à cœur de faire au mieux.
À quel moment créez-vous de nouveaux plats ?
La phase de recherche est continuellement ouverte, la création ne vient pas le lundi de 8h à 10h. J’ai quatre seconds qui travaillent avec moi, l’un d’eux peut apporter une idée, qui va en amener une autre, parfois l’idée est parfaite. Quand on a un projet, on le dessine et on affine. L’inspiration majeure c’est la saison et les produits.
Que pensez-vous des évolutions alimentaires d’aujourd’hui ?
C’est le moment où tout le monde doit s’y mettre. Les initiatives de restauration collective avec produits frais ou avec un jardin qui les approvisionne, c’est top. Rappelez-vous, il y a 25 ans, tous les chefs étaient engagés dans la Semaine du goût. On est allé dans beaucoup d’écoles mais, après notre départ, il n’y avait pas de relais. Je veux bien motiver une ville en accompagnant la culture de 10 hectares pour alimenter les écoles, mais, dans un pays comme la France, le plus grand pays gastronomique du monde, je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas deux heures par semaine pour apprendre à manger sainement. L’éducation est la clef de tout, de la part des écoles et des parents.

Comment voyez-vous les mouvements contre la consommation de viande ?
Tout ce qui est végétarien, végétalien, vegan, ce sont des mouvements avec lesquels je vis et que j’accompagne tant qu’ils sont respectueux et tolérants des autres mouvements au même titre que les régimes carnivore ou flexitarien. Il est plus simple de manger vegan ou végétarien chez nous car nous faisons du sur-mesure et ce sera avec mon identité. Par exemple, je vais m’amuser à faire cuire une tomate pendant douze heures avec des épices pour que le convive se régale d’une tomate confite qu’il ne mangera nulle part ailleurs. Ce qui est impossible dans un fast-food.
Vous êtes traversé par les débats du monde bien que vous soyez dans une enclave, un lieu apaisé que vous avez fondé…
Je suis un capitaliste social (rires). C’est banal de le dire mais l’injustice est révoltante. Je me déplace, je vois de tout, comme tout le monde. Ici quand quelqu’un arrive en ayant fait ses économies, je sais le poids de l’argent. Et je vis avec une équipe dont les salaires vont de 1 à 6. Je leur ai toujours dit que je ferai au mieux de nos possibilités, chacun sera servi, et moi aussi, car je prends des risques. Progressivement, je fais avancer socialement mon entreprise et j’investis pour que la maison soit pérenne. J’essaye de responsabiliser chacun sur les travaux à entreprendre, je souhaite que chacun évolue avec moi, qu’on grandisse ensemble. Cet été, pour la première fois, j’ai pensé qu’on pouvait proposer nos emplois de service du petit déjeuner aux enfants de nos salariés. C’était extraordinaire, car les parents n’étaient pas convaincus. Ce sont les enfants qui ont dit oui pour gagner l’argent de poche de leurs vacances. On est une maison familiale, on doit aller jusqu’au bout, ça ne s’arrête pas à un discours. Nous les restaurateurs, sommes un des derniers métiers où il y a un vrai ascenseur social. Un gamin qui va mal en quatrième et qui fait un apprentissage en cuisine, peut se retrouver dix ans plus tard avec son propre restaurant. C’est ça qui est beau dans ce métier.
