Le 31 mai dernier avait lieu une vente aux enchères exceptionnelle au profit de l’Institut Pasteur. Un événement, puisqu’on ne sait presque rien du collectionneur propriétaire des œuvres et objets mis en vente. Romain Nouel, commissaire-priseur chez Daguerre, revient sur la découverte de cette collection aussi mystérieuse qu’exceptionnelle, dont les prochaines ventes auront lieu en septembre. 

Romain Nouel l’assure. Dans une vie de commissaire-priseur – expert, cela n’arrive probablement qu’une fois. Appelé par l’Institut Pasteur, qui venait de se voir léguer un appartement parisien, proche de la porte Dauphine, à Paris, il ne sait pas encore qu’il va vivre l’un des jours parmi les plus étonnants, et les plus excitants, de sa vie professionnelle. « J’ouvre la porte, je m’avance. Et là, je suis saisi, se souvient-il. Tout est très confus, je suis face à un désordre opacifiant. J’ai beaucoup de mal à apprécier ce qui peut être intéressant dans un espace aussi envahi ». On y trouvera pourtant plusieurs milliers d’objets, de toute provenance et valeur. Il perçoit assez rapidement qu’il y a là quelques objets qui ont une valeur et annonce alors qu’il est possible que l’ensemble atteigne 100 000 euros, « ce qui est déjà beaucoup dans ce genre de successions bénéficiant à l’Institut Pasteur ». En réalité, les huit ventes successives, dont la plupart n’ont pas encore été réalisées, devraient atteindre « un montant global de 2 à 2,5 millions d’euros », hors valeur de l’appartement. 

Un vrai travail s’engage, d’abord pour éliminer de l’appartement ce qui l’encombre et n’a pas de valeur. « Je deviens à ce moment-là un chef d’orchestre, abordant l’appartement pièce par pièce, posant pour l’ensemble une méthodologie de travail qui nous permette d’avancer », observe le commissaire-priseur de la Maison Daguerre. Pour l’assister, il fera appel à une dizaine d’experts, tous spécialistes d’une époque ou d’un type d’objet. On trouve là des tableaux de facture diverse, des sculptures, des plâtres, des études, 400 pochettes de dessin, 800 tableaux, 20 000 feuilles (dessins, estampes, photos). Pour chaque objet, l’estimation va de 5 à plus de 500 000 euros. Parmi ceux-ci une toile, L’épave, de Jean-Léon Gérôme, dont la trace avait été perdue depuis une dernière exposition en 1904. Elle a été vendue lors de la première vente de la collection – le 31 mai dernier à l’Hôtel Drouot – pour 546 000 euros. On trouve aussi des œuvres de Sérusier, Mucha, Lacoste, de Feure, Devambez…

Une épave, toile de Jean-Léon Gérôme (1824 – 1904)

Que sait-on de ce collectionneur ? Il aurait exercé un temps au Louvre des antiquaires, dans les années 1970-80, avant de mourir seul et sans famille. Chez lui, il n’exposait pas ses œuvres. Faute de place, les tableaux étaient posés au sol.  « C’est une personne qui semble avoir accumulé ces objets tout au long de sa vie, en suivant, je dirais, les goûts de son époque, imagine Romain Nouel. On devine à travers cette collection les affinités pour une certaine culture valorisée dans la petite bourgeoisie de province dans la seconde moitié du 20e siècle ». Des personnes cultivées, que leurs goûts rattachent à une culture classique, « avec un penchant que je qualifierais d’intellectuel. » On trouve là ce qui était apprécié de ces collectionneurs, dont beaucoup d’artistes des 18e et 19e siècles, aujourd’hui un peu tombés dans l’oubli. « Il chine, sans doute aux Puces de Saint-Ouen, à l’époque à laquelle se constituent les collections du Musée d’Orsay, dans les années 1970. Cette collection privée a suivi le même chemin, mais avec toujours une recherche de qualité et l’envie de documenter les pièces acquises ». Et le succès d’Orsay contribue petit à petit à redonner un peu de lustre à celle de ce collectionneur si secret. « Le tableau de Gérôme était très difficilement vendable voici 30 ou 40 ans, c’est-à-dire à l’époque à laquelle il a été acquis par notre collectionneur, souligne Romain Nouel. Aujourd’hui, sa valeur est remontée ». Jusqu’à atteindre des sommets. 

Romain Nouel reste marqué par cette expérience, la découverte, le tri organisé, les discussions partagées avec les experts. Deux objets l’ont touché. Le premier, c’est une simple boîte de sardines « que nous aurions pu jeter si nous n’y avions pas porté attention », remarque l’expert.  Elle se trouvait sur un lit, parmi des vêtements, des livres. Il s’agissait en fait d’une invitation pour le vernissage d’une exposition dans une galerie. « Le carton était inséré dans la boîte de conserve, qui devait être ouverte pour qu’on puisse y accéder. Ce petit objet est très symbolique du tri minutieux que nous avons dû réaliser ».

Un second objet a retenu son attention. « C’est un dessin d’Alexandre Iacovleff, un artiste des années 1920 dont j’apprécie le travail. Il a accompagné les deux « croisières » lancées par la marque automobile Citroën et Georges-Marie Haardt :  la Croisière noire (1924-25) et la Croisière jaune (1931-32). Dans un carton de dessins, parmi des dizaines d’autres, j’ai trouvé un portrait de femme noire qui m’a tout de suite séduit. Je me souviens encore de mon émotion lorsque je l’ai extrait de cette pochette, où il se trouvait glissé parmi tant d’autres dessins ». De nouvelles ventes, organisées par typologie d’œuvres, auront lieu du 20 au 25 septembre à l’Hôtel Drouot (9 rue Drout, Paris 9) pour liquider cette succession à surprises revenant à l’Institut Pasteur.

Invitation “Full up” (“Le plein”) par Arman du 25 octobre 1960. Boite à sardines ouverte, ticket de métro et carte de visite, estimation 500 – 600€ (vente du 25 septembre)
www.daguerre.fr
IG : @daguerrencheres

Texte : Cyrille Jouanno
Image de une : © Romain Nouel