Elle a tout un monde à son nom. Révolution dans celui du jouet, Barbie est aujourd’hui un incontournable de la culture populaire. De plastique elle est devenue iconique. S’habillant des conventions de son temps, c’est notre reflet qui apparaît dans son miroir, pas si déformant.
« Une poupée peut aider à changer le monde ». Il en va là d’une charge mentale non négligeable pour la poupée en question. Plus qu’un slogan, une promesse qu’affiche avec assurance la société de jouets Mattel sur son site, ou plus précisément, dans l’une de ses rubriques entièrement dédiées aux bienfaits du « jeu à la poupée », experts et neurosciences à l’appui. Quand on pense à elle, on omet qu’elle est une poupée, elle a surplombé cette idée, elle est devenue bien public et nom commun. Elle, n’est autre que Barbie. Sous ses airs ingénus, l’éternelle jeune femme taille « mannequin », à trois côtes près, souffle désormais ses 64 bougies. Autant d’années et d’évolutions sociétales dont elle a été le témoin. Entre utopisme et marketing, que nous raconte alors cette mini nous de nos vies ? Come on Barbie, let’s go party.
Barbie double je(ux)
Cheveux au vent d’un blond doré et les yeux couleur océan. Barbie est une Californienne assumée. Elle fait sa première apparition en 1954, nouveau jouet de la marque Mattel, basée à Los Angeles et cofondée par Harold Matson et Elliot Handler. C’est à la femme de ce dernier que l’on doit l’arrivée de Barbie, Ruth Handler. À l’occasion d’un voyage en Europe, elle découvre Bild Lilli. Une petite figurine humaine, aux courbes prononcées et vêtements tendances, davantage destinée aux adultes qu’aux enfants à l’époque, que l’on s’offrait en guise d’invitation polissonne.
Avant d’être elle-même sous forme de poupée, Bild Lilli était à l’origine un personnage de bande dessinée, créée par Reinhard Beuthien en 1952 à destination du journal allemand Bild-Zeitung pour promouvoir des saynètes et blagues grivoises. Ruth Handler voit bien plus qu’une call-girl dans cette égérie plastique et ambitionne pour elle une nouvelle carrière aux États-Unis. Elle deviendra Barbie, diminutif du prénom de sa fille, Barbara.
Barbie mariée au premier regard
Là où toutes les petites filles tiennent dans leurs mains des poupées nourrisson pour pleinement entrer dans leur rôle de maman en devenir, Ruth Handler propose une poupée adulte qui servirait d’objet d’identification et de projection pour les enfants. L’imaginaire va bon train et laisse entrevoir un avenir de tous les possibles, soutenu par une collection d’accessoires et vêtements, dont un plus que symbolique : la robe de mariée. Afin de rester dans la ligne conservatrice de l’époque, le marketing oriente tout de même la rêverie. On passe de la future maman parfaite à l’heure des poupées nourrisson, à la future mariée parfaite avec la Barbie. Le mari en question ne tarde donc pas à rejoindre l’aventure, et Ken, diminutif de Kenneth, le fils de Ruth Handler, fait son apparition en 1961 avant l’arrivée enfin de la « Maison de Rêve » en 1962 pour parfaire la famille idéale.
Poupée contempo-reine
Au fil des années, Barbie s’émancipe davantage du carcan marital pour devenir infirmière puis médecin et même astronaute en 1965. Ses mensurations restent néanmoins codifiées pour répondre à un idéal de beauté absolument dysmorphique. Barbie taille réelle serait à 92cm de tour de poitrine, 46cm pour la taille et 84cm au niveau des hanches.
Il faut attendre 2016 pour voir ses formes s’arrondir, se déclinant en quatre silhouettes. Sa peau se pigmente pour introduire une plus large mixité avec 7 teintes différentes et 30 pour ses cheveux. En 2019, c’est un nouveau tournant qui s’opère avec la collection « Barbie Fashionistas » qui « reflète le monde tel que les enfants le voient aujourd’hui » comme l’annonce le site Mattel. On peut donc voir désormais des poupées porteuses d’un handicap physique (intégrant une prothèse de jambe et un fauteuil roulant) et depuis peu, d’un handicap génétique avec une Barbie atteinte de trisomie 21, en édition limitée tout de même.
Mattel s’engage clairement dans une logique d’inclusion. Ils font de leur icône intemporelle une contemporaine. De là à parler d’une volonté éthique il n’y a qu’un pas, si tant est que celui-ci puisse poser son talon au sol. Mais Barbie ne serait-elle pas en train de s’émanciper de Mattel à son tour ? À l’heure où le girl power gagne de l’ampleur, on peut être féministe et rose bonbon. Renverser le stigmate et s’approprier au féminin des codes pensés au masculin. D’ailleurs Barbie peut désormais être une femme comme un homme, sans se cacher derrière les biceps de Ken. Elle prend son envol, et entre les mains de la réalisatrice Greta Gerwig, Barbie est même en fuite. On en vient à imaginer une poupée qui se remet d’elle-même en question.