« Il est bien entendu qu’on ne saurait traiter de l’URSS qu’en termes d’enfer ou de paradis. »

Cette phrase de Chris Marker dans Lettre de Sibérie peut être reprise pour parler de Marseille. C’est un chemin bien tortueux pour éviter les clichés et les attendus au sujet de ce port qui est aussi une destination de villégiature. Comment se bâtit une réputation ? Pourquoi dit-on ceci ou cela à propos d’une ville ? Comment ne pas subir ou enjoliver ? Marseille est tout ce qu’on y attend, toutes nos idées sont exactes, il reste que Marseille vit et se transforme et qu’on trouve des nuances dans les promenades, de la complexité dans les lectures et du débat dans les échanges avec les habitants. Marseille est donc bien une ville où il fait bon d’aller s’immerger.

Les massifs de la Nerthe, de l’Etoile, du Garlaban, de Saint-Cyr-Carpiagne et de Marseilleveyre forment une large vasque pour offrir Marseille à la Méditerranée. Où que vous soyez, vous aurez toujours cette impression d’être dans un cercle entre montagnes et mer. Et ce n’est pas tout, à l’intérieur il y a des collines, le Panier, Notre-Dame de la Garde, le Roucas blanc, c’est une ville qui monte et qui descend. Rien ne vaut la marche ou le vélo pour la sillonner.

Il faut aussi se noyer dans les rues grouillantes du quartier Noailles animées encore un peu plus chaque matin par son marché, aller admirer le poisson frais tôt le matin sur le Vieux-Port et s’amuser follement sous L’Ombrière de Norman Foster, monter et descendre les rues du Panier, se perdre dans les rues taguées du Cours Saint Julien et rester pour dîner ou vous enivrer dans les bars à musique jusqu’au bout de la nuit.
Un must pour comprendre le littoral et la richesse de cette ville, empruntez la piste cyclable de la plage du Prado au Vieux-Port au coucher du soleil. Effet Waouh garanti.

Habiter. La Cité Radieuse
De loin, carrés et rectangles s’empilent comme pour un jeu d’enfant, deux carrés pour un rectangle en horizontal ou en vertical, de longues baies vitrées pour donner du rythme, des lignes verticales pour casser la symétrie. Pas de courbe si ce n’est, sur le toit terrasse, deux cheminées effilées couronnées d’une sorte de huit, signe d’infini.

Ensuite, il y a le parc, de beaux arbres hauts, pelouses et buissons. Sur une photo des années 50, l’Unité d’habitation, dite Cité Radieuse, est un îlot au milieu d’une forêt de pins, c’est un élément qui a son importance dans l’auscultation de ce projet d’architecture et de vie mené par Le Corbusier et inauguré en 1952.

En s’approchant les couleurs arrivent, un mur de couleur sur le balcon de chaque unité, des couleurs primaires, Mondrian n’est pas loin. Enfin, il y a cette impression d’un gigantesque vaisseau spatial venu se poser sur terre, les pilotis forment les pieds assurant la stabilité de l’ensemble. Dès l’entrée, l’immeuble est signé de plusieurs hommes («Modulor») estampés dans le ciment. L’ascenseur vous emporte vers le 3ème étage – étage de l’hôtel, du restaurant et de la galerie marchande. Immense couloir, pas de bruit, noir luisant au sol dans lequel se reflètent les portes de couleurs vives. Le restaurant ouvre sur l’horizon de mer et de falaises blanches, pur bonheur de la Méditerranée. Vient la galerie marchande de laquelle ne subsistent qu’un pâtissier, une librairie et des boutiques de design. Le projet de Le Corbusier commence à prendre racine dans votre corps. Au bout du couloir sombre, un espace s’ouvre sur deux étages – 2,26m de hauteur pour chaque étage – le seul baigné de lumière, Le Corbusier a dégagé cette rue des commerces qui longe un rez-de-chaussée occupé par une librairie, des boutiques de design et un étage de bureaux. La lumière des baies vous envahit, vous êtes bien dans un vaisseau qui traverse le ciel.

Au bout, un escalier vous mène au quatrième étage. Une femme de ménage travaille, une des chambres est ouverte, mobilier fonctionnel, larges fenêtres sur la mer, c’est rêche comme une cellule monacale. Peut-être, est-ce là où le projet spirituel vous parvient. Il s’agit bien ici d’habiter, mais qu’est-ce-que habiter ? Etage après étage, le dénuement est un principe de base, dénuement et cordialité comme dans un phalanstère. Le Corbusier avait en tête un immeuble ville où chacun, travaillant à l’extérieur, pourrait, une fois rentré chez lui, faire ses courses, aller chercher ses enfants à la crèche, prendre un verre sur le toit-terrasse… Il s’agit ici d’élévation, une vie consacrée au bien-être, non pas dans la surconsommation (peu connue à l’époque de la création de cette Cité) mais un recentrement de la vie autour de l’essentiel, pas d’afféteries, le strict nécessaire. Tout ici est pensé, chaque détail a sa fonction et c’est très rassurant. Vous pouvez vous lover dans votre appartement comme dans les espaces communs.

Venons-en au toit terrasse. Éblouis, éblouis de lumière et de lignes. Le Corbusier a imaginé un espace habité par vous et le soleil, vous et les étoiles, comme dans les projets d’aujourd’hui où les toits deviennent jardins ou terrains de jeux. Un lieu de haute spiritualité où votre esprit peut naviguer à 360° dans le paysage sublime de la conque marseillaise toute de falaises blanches, de montagnes et bien sûr la Méditerranée en majesté.
_La Cité Radieuse : 280 boulevard Michelet, 8ème arrondissement / citeradieuse-marseille.com

Le Tournis. Une visite au MuCEM
Le mètre étalon du succès d’une œuvre architecturale devrait être le nombre de jeunes amoureux qui selfient et s’embrassent, de familles qui pique-niquent et se promènent dans chaque espace, de couples âgés qui prennent le soleil et de jeunes gens qui lisent entre les buissons méditerranéens. Le MuCEM est un triomphe, un accomplissement, un espoir enfin réalisé.

Peut-être avez-vous connu cette arrivée dans Marseille par une route à quatre voies traversant des docks sombres dans un agrégat effrayant pour déboucher, enfin, sur la splendeur du Vieux-Port ? Le coup de speed de la ville, capitale européenne de la culture 2013, a provoqué un projet urbanistique éblouissant autour de la récupération d’espaces entre le port de commerce et le Vieux-Port avec comme ligne de force, la création de ce musée polymorphe. Aujourd’hui, tout fait sens : les liens entre le port, le quartier du Panier et le Vieux-Port, les vues sont dégagées, les flux de circulation sont bien gérés même la cathédrale Major retrouve un lustre qu’elle n’avait plus depuis bien longtemps.

Le MuCEM c’est d’abord la joie de prendre la ville par les pieds et les yeux. Poser une forme inattendue à côté de la sereine puissance du Fort Saint Jean, il fallait de l’audace, Marseille l’a eue. Ce bâtiment a un dessin évident, lumineux dans sa construction comme dans son utilisation et son projet artistique. Il propose un ensemble neuf et innovant relié au Fort Saint Jean et ses espaces extérieurs par une vertigineuse passerelle, le tout réaménagé avec soin.

Pour les Marseillais, le MuCEM est une signature, pour les visiteurs d’autres contrées, la Méditerranée, ce pays de mer et de rivages, prend corps ici. Six ou sept expositions vous attendent ainsi qu’une bibliothèque, une librairie, un auditorium et, bien sûr, des bars et restaurants qui occupent des espaces toujours ouverts sur le port ou le Vieux-Port. Tout est fait ici pour la promenade, c’est non seulement un autre rapport avec l’histoire de Marseille qui est proposé mais aussi un rapport déculpabilisant avec la culture, c’est la balade qui vous emmène de la vue du Fort Vauban à l’une des salles d’exposition du Fort Saint Jean, c’est l’envie d’être suspendu entre mer et ciel sur la passerelle qui vous emmène vers les salles du MuCEM.

Une journée dans cet ensemble c’est : visite attentive d’un morceau de l’humanité méditerranéenne (sur trois étages, vous traverserez des thématiques ethnographiques, historiques, économiques et artistiques liées au bassin méditerranéen), procrastination au soleil sur l’une des terrasses, flânerie à la (très bonne) librairie et repas dans l’un des restaurants…
N’oublions pas l’encerclement du bâtiment par la mer, jamais vous ne la verrez avec autant de facettes et, pour conclure votre visite, laisser vous couler le long de la passerelle métallique qui descend graduellement tout autour du bâtiment pour apercevoir, au travers des moucharabiehs de ciment des dizaines de points de vue. Le tournis et le plaisir.
_MucEM : 7 Promenade Robert Laffont (Esplanade du J4), 2ème arrondissement / mucem.org

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LE CARNET
Innombrables sont les bonnes adresses marseillaises, voici une sélection…

> Maison Empereur (4 rue des Récolettes, 1er arrondissement)
Joie de déambuler parmi les étals, les étages, les couloirs, les rabicoins, le musée, le café dans des odeurs d’enfance. Ici, il y a tout ce qui concerne la quincaillerie et la droguerie (dont le fameux savon) plus, tout ce que vous ne cherchez pas et que vous trouverez quand même. Possibilité de dormir « dans l’arrière-boutique » (150€ inclus repas du soir et petit- déjeuner)

> Herboristerie du Père Blaize (4 – 6 rue Méolan et du Père Blaize, 1er arrondissement)
D’un côté pharmacie, de l’autre herboristerie. Le paradis pour se soigner avec des plantes ou se faire plaisir avec de délicieux mélanges : tisane Préau des Accoules, Notre-Dame de la Garde, Maison Blaize, Baille, Saint-Ferréol, Verte campagne… possibilité de déguster sur place.

> Pain Pan (29 rue Des 3 Frères Barthélémy, 6ème arrondissement)
Du pain à la lente maturation, foccacia grise richement garnie, étonnante brioche-gâteau au caramel et pralines.

Marseille ne serait pas sans le commerce des épices. Vos pieds, curieux de tout, vont vous faire entrer dans des boutiques merveilleuses où vous pourrez faire provision de sels et de poivres de provenances exotiques, de condiments, d’olives, de fruits secs ou confits et aussi, confronter l’olivade à la tapenade.
> Exosud (26 rue Saint Michel, 6ème arrondissement)
> Saladin (10 rue Longue Des Capucins, 1er arrondissement)

Texte et photos : Jérôme Descamps