Pour la revue littéraire et artistique Octopus, l’historien spécialiste du Moyen Âge Patrick Demouy revient sur l’histoire du vin de Champagne et son essor au sein de la Cour des rois.
Reims est la ville du sacre. Trente-trois rois y ont reçu l’onction et la couronne en mémoire du baptême de Clovis, le premier roi des Francs, par le ministère de l’évêque saint Remi, aux alentours de l’an 500.
La légende s’est vite emparée de l’événement fondateur. Celle d’une sainte Ampoule remplie d’un baume odorant apportée par une colombe est la plus connue ; de génération en génération les rois ont été oints de cette huile miraculeuse qui renforçait leur sacralité.
Un autre prodige est mentionné parmi les miracles attribués à saint Remi : le prélat aurait remis à Clovis un tonnelet de vin, qui ne devait jamais se vider tant que la grâce de Dieu serait sur le roi et lui donnerait la victoire. L’évêque était-il viticulteur ? En un certain sens puisque son testament mentionne cinq vignes dont il prenait soin, premier témoignage écrit de la vigne en Champagne. Le roi appréciait-il le vin ? Assurément et celui-ci occupait une place importante lors des sacres.
La cérémonie attirait à Reims une foule importante, des grands du royaume au petit peuple avide de contempler la majesté royale. Celle-ci devait se manifester par la générosité : distribution de pièces à la volée et installation dans la cour du palais archiépiscopal d’une fontaine de vin.
C’est dans ce palais, jouxtant la cathédrale, que le roi prenait son gîte. Les seigneurs de son entourage logeaient chez l’habitant. Martyrisée par la Première Guerre Mondiale, la ville a gardé peu de maisons anciennes. L’une d’elle, devenue propriété du Champagne Taittinger, a gardé le nom de demeure des comtes de Champagne. Non parce qu’elle leur appartenait, mais parce qu’ils ont pu s’y installer. Le comte de Champagne était l’un des douze pairs de France. À ce titre, il était un des acteurs du sacre.
À l’issue de la très longue cérémonie dans la cathédrale, un festin était servi au palais. Nous disposons des archives de bouche à partir du XIVe siècle. Les vins servis alors étaient certes locaux, mais aussi de Saint-Pourçain et de Beaune. Il est intéressant de voir comment l’écart entre vins de Bourgogne, alors deux fois plus prisés, et vins tranquilles de Champagne, blancs et rouges, s’est peu à peu comblé.
Au XVIe siècle ils étaient à égalité, signe d’une évidente amélioration de la qualité. Le vin de Champagne s’est imposé à la table du roi. Et comme l’usage était de lui en offrir lors de son entrée dans la ville, il en remportait à la cour.
En 1722 c’est un total de 6000 bouteilles aux armes de la Ville qui furent offertes à Louis XV et à son entourage. Belle opération de promotion. D’autant plus que ce sacre doit rester dans les annales comme le premier sacre où fut servi du vin effervescent. Quarante-cinq pièces de vin, blanc et rouge, furent achetées au comte de Sillery (village proche de Reims) : « On fit tirer la plus grande partie des meilleurs vins en flacons, les uns mousseux, les autres non ».
Le champagne tel que nous le connaissons était prêt à conquérir les tables de l’élite européenne et à s’affirmer comme le roi des vins.